vendredi 28 octobre 2011

Maghreb : Péril islamiste dites-vous ?

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On ne l’avait pas vu arriver mais pourtant, il est bien là, ancré dans les sociétés, comme en Libye, ou profitant du manque de crédibilité des progressistes, comme en Tunisie. Cet islamisme new look, qui se présente comme modéré, représente-t-il un danger ? 

La machine à fabriquer la peur s’est mise en branle avant même que les résultats définitifs des élections sur la Constituante en Tunisie ne soient proclamés officiellement. La victoire partielle du mouvement Ennahda choque les Occidentaux. En Algérie, pays voisin de la Tunisie où les scrutins ont une «longue» histoire avec la fraude, les craintes s’expriment. Certains, à tort ou à raison, font un parallèle avec l’émergence du FIS. D’autres fouillent dans le grenier des horreurs pour faire sortir les masques qui font pleurer les enfants.
«Les amplificateurs» professionnels, par l’écrit, l’image et l’exagération, sont là pour planter le décor, montrer le château où logent les sorciers et faire entrer «le diable». Il est évident qu’à Alger, où le statu quo stérile dure depuis des mois, la prétendue «menace» fondamentaliste en Tunisie ou en Libye est du pain bénit. L’Algérie officielle, qui n’a pas eu une position franche, claire et convaincante sur les révoltes arabes, a désormais «un argument» pour justifier le non-engagement d’un réel processus démocratique dans le pays : la probable victoire du courant islamiste lors d’élections ouvertes.

Absence de débat en Algérie

Cette question mérite débat. Mais, le débat pluriel et libre est absent en Algérie, pays où la plupart des espaces de réflexion sont mis sous surveillance. Les Tunisiens, qui ont pris part librement et démocratiquement à des élections désormais historiques, ne crient pas autant que leurs voisins de l’Ouest et que certains Européens. Des Européens, qui après avoir échoué à prévoir le mouvement de révoltes populaires toujours en cours dans le monde arabe, se mettent à «prévenir» contre ce qu’ils appellent «la vague verte». Cela équivaut à croire que les peuples arabes ne «savent» toujours pas voter, choisir leurs représentants, s’adapter au modèle démocratique... Les questions, déjà posées par le passé, ressurgissent comme dans une mécanique de mise en boîte d’idées : «Ennahda est-il soluble dans la démocratie ?», «La Libye deviendra-t-elle un Etat islamique ?» Les lectures anglo-saxonnes sont plus mesurées, moins alarmistes. 
Le journal américain The New York Times a, par exemple, reproché aux laïcs tunisiens de n’avoir pas élaboré un programme cohérent pour convaincre les électeurs. L’ancien ministre des Affaires étrangères français, Hubert Védrine, a, lui, estimé qu’il n’y a pas de raison de croire que les choses prendront «une tournure dramatique» en Tunisie, estimant que les mouvements islamistes autant que les sociétés ont évolué. «Il n’y aura pas d’Etat théocratique en Tunisie. Nous, élites du Maghreb, confondons un certain nombre de choses. Je ne pense pas aussi que la Libye ira vers un Etat théocratique. Il y aura peut-être une connotation plus musulmane qu’ailleurs. Je ne pense pas que le péril théocratique s’installera au Maghreb», a déclaré, pour sa part, Abdelaziz Djerad, politologue algérien, dans une émission de la Radio nationale. «Nous ne prônons pas l’islam des talibans», a dit et assuré Rached Ghannouchi, leader d’Ennahda. Il a précisé que le modèle turc sera la référence de son parti.
Il est évident qu’Ennahda ne pourra pas gouverner seul, pour ne pas subir les foudres de la société tunisienne qui souffre de difficultés socioéconomiques. Il sera compliqué pour Ennahda de remettre en cause la configuration économique de la Tunisie basée sur le tourisme et les autres segments du secteur des services. L’islamisme modéré ne sera pas un choix, mais une nécessité pour ce parti qui, plus que les autres, a compris le souci d’une partie de la société tunisienne de retrouver certains repères identitaires, écrasés par la dictature de Bourguiba-Ben Ali, loin de toute idée extrémiste, de toute volonté d’exclusion. En Algérie, on veut, par tous les moyens, imposer une lecture sécuritaire des événements. D’où cette insistance sur «le trafic» d’armes aux frontières avec la Libye, alors qu’il n’existe aucune preuve tangible et vérifiable sur l’arrivée d’armes libyennes en Algérie, même si la menace existe. Que font les milliers de militaires déployés le long des frontières avec la Libye ? Les armes n’étaient-elles pas présentes en Algérie à l’époque où El Gueddafi régnait en maître absolu à Tripoli ? Pourquoi aucun officiel algérien n’a pas dénoncé publiquement les grenouillages de l’ex-tyran libyen dans la région sahélo-saharienne ? Par le passé, le Tchad, le Soudan et le Niger, pays voisins de la Libye, avaient, avec des tons différents, accusé le régime d’El Gueddafi de financer et d’alimenter en armes «les rebelles».

Le virus destructeur

Cette semaine, le président du Nord-Soudan, Hassan El Bachir, l’a encore une fois rappelé. Il a notamment évoqué l’armement des rebelles du Darfour et du Sud par le clan d’El Gueddafi. Celui-ci poussait le cynisme jusqu’à financer des projets de développement à Khartoum ! Malgré la reconnaissance à demi-mot du Conseil national de transition libyen (CNT) par Alger, une campagne sournoise est menée contre Moustapha Abdeljalil, président de ce conseil, après avoir évoqué la révision des lois qui sont contraires à la doctrine musulmane. Moustapha Abdeljalil, qui gère des hommes encore armés, a beau préciser son discours en disant que les Libyens sont des musulmans modérés et médians, rien à faire, les relais habituels du pouvoir en Algérie crient sur tous les toits que «le CNT va instaurer un Etat religieux en Libye». Le but de cette opération de type psychologique est de diaboliser les nouveaux dirigeants de Tripoli, ceux qui ont réussi à mettre à terre une dictature de quarante-deux ans. La théorie de la peur porte en elle-même un virus destructeur. Virus qui ne lui permet pas de résister à l’épreuve du temps et de la vérité…
Fayçal Métaoui

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