dimanche 8 janvier 2012

Le printemps arabe converti en dinars algériens
par Kamel Daoud



 
Selon des chiffres rendus publics par les  journaux, les Algériens ont acheté près de 3.000 véhicules en 2011. Le total vaut autant pour le reste des produits et des mariages. D'où vient l'argent ? Du printemps arabe transformé en rappel de salaires et en augmentations avec effet rétroactif depuis la mort de Boumediène. Les premiers heureux sont les gens de l'Etat, les policiers, les « corps », les hauts fonctionnaires, puis les fonctionnaires, puis tous ceux qui ont l'audace de faire pression ou grève ou de marcher à Alger pour obtenir de l'argent et pas seulement un discours sur la prochaine Constitution. Les autres, ceux qui n'ont rien fait, n'auront pas droit à du neuf en voiture ou en chaussures. C'est dire que, finalement, le plan de Constantine anti-révolution a réussi. Pour une année. Les Algériens, des Algériens ne demandent pas la chute du régime mais qu'il paye des rançons. Le peuple a fait déjà une guerre gratuite, il veut donc une paix payante. Possible, dans de larges proportions.

Question, cependant, d'ordre des fins dernières de l'histoire universelle : qu'est-ce qui se passera quand tout le monde aura été augmenté ? Que va-t-il arriver à l'histoire nationale quand nous aurons 36 millions de voitures avec 36 millions de logements et 36 millions de tout ce qui va de la chaussure à l'écran 3D ? Serait-ce la fin de l'histoire et le début de l'indépendance ou la fin d'un cycle avec commencement d'un autre cycle où il faudra au régime distribuer 36 millions de villas ? On ne sait pas. Pour cette année morte, le régime a payé de l'argent pour passer sa route. Cela donne de mauvaises idées et de mauvaises habitudes pour le futur et la valeur du travail. On s'imagine par exemple si De Gaulle avait réussi à vendre son plan de Constantine contre le FLN révolutionnaire. Que se serait-il passé? Il aurait ralenti le «dégage» et l'aurait reporté de vingt ou trente-six ans. Mais après les routes pour indigènes, les écoles pour indigènes, les emplois pour indigènes, les chaussures neuves pour indigènes, les indigènes auraient tôt ou tard demandé un pays, le pays des indigènes.

On peut acheter un livre d'histoire mais on ne peut acheter l'histoire. Ceci pour faire dans le grandiloquent. A court terme, les augmentations de salaires contre des restrictions des libertés semblent être une bonne formule consensuelle. Une formule de contentement mutuel. Mais cela ne résout pas le problème, comme dit plus haut. Les vieux colons français le savaient, eux qui ont refusé l'instruction pour les humbles indigènes de 1900: après l'école, ils vont (nous) demander l'indépendance. Que demande un Algérien quand il a une voiture neuve? De bonnes routes, puis des routes qui mènent à un but, puis un but dans la vie et une vie dans la nation et une nation, pas seulement une augmentation.

Le pays a été préservé cette année et on espère une suite pour cette paix. Mais il y a sûrement un chemin entre le chaos qui coûte et l'alimentation générale qui avilit. Possible ?

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