vendredi 28 octobre 2011

Maghreb : Péril islamiste dites-vous ?

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On ne l’avait pas vu arriver mais pourtant, il est bien là, ancré dans les sociétés, comme en Libye, ou profitant du manque de crédibilité des progressistes, comme en Tunisie. Cet islamisme new look, qui se présente comme modéré, représente-t-il un danger ? 

La machine à fabriquer la peur s’est mise en branle avant même que les résultats définitifs des élections sur la Constituante en Tunisie ne soient proclamés officiellement. La victoire partielle du mouvement Ennahda choque les Occidentaux. En Algérie, pays voisin de la Tunisie où les scrutins ont une «longue» histoire avec la fraude, les craintes s’expriment. Certains, à tort ou à raison, font un parallèle avec l’émergence du FIS. D’autres fouillent dans le grenier des horreurs pour faire sortir les masques qui font pleurer les enfants.
«Les amplificateurs» professionnels, par l’écrit, l’image et l’exagération, sont là pour planter le décor, montrer le château où logent les sorciers et faire entrer «le diable». Il est évident qu’à Alger, où le statu quo stérile dure depuis des mois, la prétendue «menace» fondamentaliste en Tunisie ou en Libye est du pain bénit. L’Algérie officielle, qui n’a pas eu une position franche, claire et convaincante sur les révoltes arabes, a désormais «un argument» pour justifier le non-engagement d’un réel processus démocratique dans le pays : la probable victoire du courant islamiste lors d’élections ouvertes.

Absence de débat en Algérie

Cette question mérite débat. Mais, le débat pluriel et libre est absent en Algérie, pays où la plupart des espaces de réflexion sont mis sous surveillance. Les Tunisiens, qui ont pris part librement et démocratiquement à des élections désormais historiques, ne crient pas autant que leurs voisins de l’Ouest et que certains Européens. Des Européens, qui après avoir échoué à prévoir le mouvement de révoltes populaires toujours en cours dans le monde arabe, se mettent à «prévenir» contre ce qu’ils appellent «la vague verte». Cela équivaut à croire que les peuples arabes ne «savent» toujours pas voter, choisir leurs représentants, s’adapter au modèle démocratique... Les questions, déjà posées par le passé, ressurgissent comme dans une mécanique de mise en boîte d’idées : «Ennahda est-il soluble dans la démocratie ?», «La Libye deviendra-t-elle un Etat islamique ?» Les lectures anglo-saxonnes sont plus mesurées, moins alarmistes. 
Le journal américain The New York Times a, par exemple, reproché aux laïcs tunisiens de n’avoir pas élaboré un programme cohérent pour convaincre les électeurs. L’ancien ministre des Affaires étrangères français, Hubert Védrine, a, lui, estimé qu’il n’y a pas de raison de croire que les choses prendront «une tournure dramatique» en Tunisie, estimant que les mouvements islamistes autant que les sociétés ont évolué. «Il n’y aura pas d’Etat théocratique en Tunisie. Nous, élites du Maghreb, confondons un certain nombre de choses. Je ne pense pas aussi que la Libye ira vers un Etat théocratique. Il y aura peut-être une connotation plus musulmane qu’ailleurs. Je ne pense pas que le péril théocratique s’installera au Maghreb», a déclaré, pour sa part, Abdelaziz Djerad, politologue algérien, dans une émission de la Radio nationale. «Nous ne prônons pas l’islam des talibans», a dit et assuré Rached Ghannouchi, leader d’Ennahda. Il a précisé que le modèle turc sera la référence de son parti.
Il est évident qu’Ennahda ne pourra pas gouverner seul, pour ne pas subir les foudres de la société tunisienne qui souffre de difficultés socioéconomiques. Il sera compliqué pour Ennahda de remettre en cause la configuration économique de la Tunisie basée sur le tourisme et les autres segments du secteur des services. L’islamisme modéré ne sera pas un choix, mais une nécessité pour ce parti qui, plus que les autres, a compris le souci d’une partie de la société tunisienne de retrouver certains repères identitaires, écrasés par la dictature de Bourguiba-Ben Ali, loin de toute idée extrémiste, de toute volonté d’exclusion. En Algérie, on veut, par tous les moyens, imposer une lecture sécuritaire des événements. D’où cette insistance sur «le trafic» d’armes aux frontières avec la Libye, alors qu’il n’existe aucune preuve tangible et vérifiable sur l’arrivée d’armes libyennes en Algérie, même si la menace existe. Que font les milliers de militaires déployés le long des frontières avec la Libye ? Les armes n’étaient-elles pas présentes en Algérie à l’époque où El Gueddafi régnait en maître absolu à Tripoli ? Pourquoi aucun officiel algérien n’a pas dénoncé publiquement les grenouillages de l’ex-tyran libyen dans la région sahélo-saharienne ? Par le passé, le Tchad, le Soudan et le Niger, pays voisins de la Libye, avaient, avec des tons différents, accusé le régime d’El Gueddafi de financer et d’alimenter en armes «les rebelles».

Le virus destructeur

Cette semaine, le président du Nord-Soudan, Hassan El Bachir, l’a encore une fois rappelé. Il a notamment évoqué l’armement des rebelles du Darfour et du Sud par le clan d’El Gueddafi. Celui-ci poussait le cynisme jusqu’à financer des projets de développement à Khartoum ! Malgré la reconnaissance à demi-mot du Conseil national de transition libyen (CNT) par Alger, une campagne sournoise est menée contre Moustapha Abdeljalil, président de ce conseil, après avoir évoqué la révision des lois qui sont contraires à la doctrine musulmane. Moustapha Abdeljalil, qui gère des hommes encore armés, a beau préciser son discours en disant que les Libyens sont des musulmans modérés et médians, rien à faire, les relais habituels du pouvoir en Algérie crient sur tous les toits que «le CNT va instaurer un Etat religieux en Libye». Le but de cette opération de type psychologique est de diaboliser les nouveaux dirigeants de Tripoli, ceux qui ont réussi à mettre à terre une dictature de quarante-deux ans. La théorie de la peur porte en elle-même un virus destructeur. Virus qui ne lui permet pas de résister à l’épreuve du temps et de la vérité…
Fayçal Métaoui

lundi 24 octobre 2011

Honteux mensonges d’un putschiste au crépuscule de sa vie !

Khaled Nezzar face à la justice Suisse : Le P-V d’audition

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El Watan le 24.10.11

Durant deux jours, les 20 et 21 octobre passés, l’ancien ministre de la Défense (1991à 1993), Khaled Nezzar, a été auditionné par la procureure fédérale suisse, Laurence Boillat, suite à une plainte déposée contre lui pour «suspicion de crimes de guerre». L’audition a porté principalement sur le rôle du général à la retraite, sur le rôle de l’armée dans la gestion de la décennie noire et la lutte antiterroriste. Des questions également sur le départ de Chadli Bendjedid et le rôle du Haut-Comité d’Etat (HCE). El Watan publie, aujourd’hui et demain, l’intégralité du procès-verbal de l’audition.

Genève, Hôtel de police, jeudi 20 octobre 2011,
Se présente, amené par la Police judiciaire fédérale (PJF) sur mandat d’amener du 19 octobre 2011 du ministère public de la Confédération (MPC),
en qualité de prévenu  : Khaled Nezzar.
En présence de :
- Laurence Boillat, procureure fédérale suppléante, direction de la procédure
- Ludovic Schmied, procureur fédéral assistant
- Caterina Antognini, stagiaire-juriste, rédaction du procès-verbal
- Me Magali Buser, avocate à Genève, défenseur d’office
- Me Anthony Howald, avocat-stagiaire auprès de Me Szalai.

Vous avez le droit de faire appel à un défenseur ou de demander un défenseur d’office (art. 158 al. 1 let. c CPP). En vertu de l’art. 130 Iit b, vous avez l’obligation d’être assisté d’un défenseur dans le cadre de la présente procédure.
Note : sur demande du MPC, le prévenu a indiqué à la PJF au moment de son interpellation, qu’il ne connaissait pas d’avocat et qu’il s’en remettait au choix de la direction de la procédure. Le MPC a pris contact avec la permanence des avocats genevois à 9h35. Me Buser, avocate à Genève, désignée d’office, s’est entretenue avec son client avant l’audition, soit de 10h30 à 10h45.
Avez-vous besoin d’une traduction (art. 158 al. 1 let d CPP)?
Non.
Information sur vos droits
Vous êtes entendu en qualité de prévenu (art. 157ss CPP) dans le cadre d’une instruction ouverte à votre encontre par le ministère public de la Confédération, en date du 19.10.2011, pour un soupçon de crimes de guerre (art. 264b ss CP 1 art. 108 et 109 aCPM) commis en Algérie durant le conflit armé interne de 1992 à 1999.
Vous avez le droit de refuser de déposer et de collaborer (art. 158 al. 1 let. b CPP). Si vous déposez, vos déclarations peuvent être utilisées comme moyen de preuve. Vous êtes rendu attentif aux conséquences pénales d’une dénonciation calomnieuse (art. 303 CP) si vous dénoncez comme auteur d’un crime ou d’un délit une personne que vous savez innocente, d’une induction de la justice en erreur (art. 304 CP) et de la soustraction d’une personne à une poursuite pénale (art. 305 CP).
Avez-vous compris cette notification ?
Oui.
Avant de commencer, ëtes-vous d’accord de faire des déclarations ?
Oui, je suis tout à fait d’accord.

-1. Que signifie le passeport diplomatique algérien n°0015201 trouvé en votre possession ?
C’est un passeport qui permet de voyager n’importe où dans le monde sans avoir à demander de visa et qui ne donne pas le droit à l’immunité parlementaire. J’ai le droit de recevoir des autorités algériennes un tel passeport pour voyager.
Note : je vous informe que, contrôle fait auprès du Département fédéral des Affaires étrangères (DFAE), vous ne bénéficiez d’aucun statut diplomatique ni accréditation en Suisse. Selon le DFAE, ce document ne crée aucune immunité mais vous attribue seulement des privilèges en matiére de transport.
-2. Pour quel motif êtes-vous actuellement présent en Suisse ?
Je suis en Suisse pour voir mon psychothérapeute, le docteur Bourgeois, pour arrêter la cigarette.
Note : je vous informe que, selon les explications du DFAE, vous ne bénéficiez en Suisse d’aucun privilège ni immunité dès lors que vous étiez ici à titre privé.
-3. Que pouvez-vous dire au sujet du conflit qui a touché l’Algérie durant les années 1992 à 1999 ?
D’abord j’aimerais savoir pourquoi je suis poursuivi puisque la Convention de 1984 dit textuellement que, en cas de crime de guerre, si quelqu’un n’a pas été poursuivi chez lui, il ne peut pas être poursuivi dans un état étranger.
Note : la procureure fédérale suppléante explique que selon la loi suisse, nous avons la possibilité de poursuivre quelqu’un pour crime de guerre, peu importe l’endroit où à été commise l’infraction.
Je ne suis pas concerné par ce conflit. Pourquoi vous me posez cette question ? Je ne suis pas celui qui a déclenché ce conflit. J’étais ministre de la Défense. Je dois savoir qu’est-ce qu’on me reproche. Des «suspicions», c’est un terme bien trop vague. Moi je n’ai pas les mains sales. Est-ce qu’il y a des plaintes à mon encontre ?
J’ai fait un procès à Paris en 2002 sauf erreur, suite à une attaque en justice d’un élément du Front islamique du salut (FIS). Cette personne a été poussée par les partisans de la politique du «qui tue qui ?», lesquels voulaient faire croire que c’étaient les différentes autorités en fonction qui tuaient les civils.
-4. Pour quelle raison ce conflit a-t-il été surnommé « la sale guerre» ?
Toute guerre civile est une sale guerre. Il y a des dépassements partout, c’est sûr. Beaucoup de civils sont morts pour rien. Cette guerre s’est déclenchée car le FIS à l’époque voulait le pouvoir, quitte à utiliser la violence. Il y·a eu un premier tour d’élections où le FIS, arrivé avec 26% des suffrages, a eu la majorité des sièges. Suite à cela, il y a eu la démission du Président. S’est posé le problème de savoir s’il fallait laisser le processus électoral continuer, auquel cas le pays serait allé vers la catastrophe, ou s’il fallait intervenir. Il y a eu arrêt du processus électoral de la part du Conseil de sécurité national ; c’était pour nous une réponse politique, alors que le FIS s’est lancé dans une guerre civile. Il y avait des attentats, c’était le chaos total. La violence a commencé avant, le FIS voulait la majorité alors qu’il n’avait eu que 21% des voix. C’était début 1992.
Il y avait de la violence quotidienne, des menaces ; les gens invoquaient la charia en tant que Constitution. Le FIS voulait changer la manière de se nourrir et de se vêtir. Le FIS était en fait un parti totalitaire qui voulait gouverner par la loi islamique.
-5. Quelles étaient vos fonctions en Algérie avant 1992 ?
J’ai été commandant des forces terrestres en 1988, sauf erreur, sous la présidence de Chadli Bendjedid et, à ce titre, adjoint du chef d’état-major. Je suis passé chef d’état-major de l’armée en 1991, toujours sauf erreur. J’ai fait toute ma carrière militaire en Algérie. J’étais officier de l’armée française, j’ai déserté l’armée française pendant la guerre d’Algérie en rejoignant les maquis.
Ensuite j’ai été ministre de la Défense vers fin 1991 début 1992. Je ne suis pas resté longtemps à ce poste, environ un an.
Sur question, je ne pense pas avoir été nommé ministre de la Défense le 27 juillet 1990, comme vous l’indiquez. J’ai été ministre jusqu’en 1993 et, à ce titre, membre du Haut-Comité d’Etat (HCE). Comme vous me l’indiquez, il est exact que j’ai quitté ma fonction de ministre et le HCE le 10 juillet 1993.
-6. Quelle était votre opinion au sujet du Front islamique du salut (FIS) ?
C’était un parti totalitaire qui prônait une loi que j’abhorrais. Je ne suis pas un éradicateur. Je ne partageais pas leurs opinions et leur manière de voir les choses, leur façon d’associer l’Islam à la politique. Sur question, je n’étais pas un militant politique, si ce n’est qu’avant 1989 j’étais membre du FLN, parce que nous étions encore sous le régime révolutionnaire. Lorsqu’il y a eu la Constitution de 1989, qui prônait le multipartisme, l’armée s’est retirée du FLN. Dès ce moment, je n’étais plus catalogué politiquement, mais en tant que citoyen algérien je n’appréciais pas la manière de voir du FIS.
-7. De quelle manière avez-vous participé au coup d’Etat du 11 janvier 1992 ?
Je ne suis pas d’accord de l’appeler «coup d’Etat». Chadli Bendjedid déclare encore aujourd’hui qu’il a démissionné. Personne ne l’a poussé à démissionner. J’étais ministre de la Défense, pourquoi l’aurais-je poussé à démissionner ? Je n’ai jamais revendiqué le coup d’Etat, ainsi que vous semblez l’avoir lu dans des sources ouvertes. J’étais parmi ceux qui prônaient l’arrêt du processus électoral, c’est vrai, ceci dans l’intérêt de mon pays, mais je n’ai rien à voir avec la démission de Chadli Bendjedid. D’ailleurs, si on avait arrêté Hitler à l’époque, on n’aurait jamais vécu tout ce qu’a vécu l’Europe depuis.
-8. Quelles étaient vos fonctions en Algérie pendant le conflit, soit durant la période de 1992 à 1999 ?
A cette période j’étais ministre de la Défense et membre du HCE jusqu’en juillet 1993. Sur question, je n’ai pas exercé d’autres fonctions. A cette période il y avait une présidence collégiale. Mohamed Boudiaf a été président du HCE. Sur question, je n’ai jamais été président du HCE.
Sur question, je précise que le comité était composé de différentes personnalités de la Révolution (des anciens du FLN), qui n’avaient pas de fonctions étatiques, sauf moi qui étais ministre de la Défense. Le Comité était composé de cinq personnes avec le Président. Ces personnes avaient été choisies par le Conseil de sécurité (chef du gouvernement, ministre de la Défense, ministre de la Justice, ministre de l’Intérieur, président du Conseil constitutionnel, sauf erreur).
Sur question, je précise que le Comité pouvait gouverner le pays. C’était une direction collégiale. Il s’agissait d’une période où il n’y avait plus d’institution.
Sur question, ce Comité a été en fonction pendant deux ans, soit depuis début 1992 jusqu’à fin 1993, moment où le nouveau président a été élu.
Sur question, je confirme que pendant deux ans j’ai fait partie, avec le Président et trois autres personnes, de la gouvernance collégiale qui dirigeait le pays à cette époque. Je précise qu’il y avait un gouvernement avec des ministres. Sur question, je précise que le ministère de la Défense avait été choisi pour faire partie du HCE parce que, dans des pays en voie de développement, l’armée est la seule institution fiable, car structurée et organisée. L’armée avait son poids dans tous les pays en voie de développement.
Sur question, je précise que le Comité prenait les décisions concernant le pays et ensuite le gouvernement les exécutait. Les trois autres membres du HCE, à part le Président et moi, étaient l’ancien recteur de la Mosquée de Paris qui est décédé depuis, le docteur Haddam ; maître Ali Haroun, ancien membre de la Fédération de France ; Ali Kafi, responsable des anciens combattants, ancien historicien de la Révolution. Toutes ces personnes étaient des révolutionnaires. A cette époque, la seule institution qui restait c’était l’armée. Chadli Bendjedid qui, à ce moment, était Président et Ministre de la Défense, venait de se désister de sa charge de Ministre de la Défense m’a nommé au poste de Ministre de la Défense.
-9. Pouvez-vous m’expliquer quel type de décision a pu prendre le HCE ?
Toute décision qui servait à gouverner le pays, pour le quotidien du pays, pour son avenir et les questions stratégiques. Je précise qu’il n’y avatt pas de Parlement. Pour les communes, il y avait des suppléants dans chaque localité ou ville importante. Ces représentants étaient des représentants locaux, ils étaient le point de contact avec la population. C’était comme des maires, on les appelait les DEC. Il n’y avait pas de relation directe entre les DEC et le HCE. Ces représentants remplaçaient les éléments du FIS dissous par une loi de justice.
Sur question, je précise que les autorités communales existaient. La politique et la conduite du pays étaient dans les mains du HCE, il n’y avait pas d’autre instance telle qu’une Assemblée. Le Comité était là pour suppléer la Présidence. Le HCE est l’équivalent d’un chef d’Etat d’un autre pays. Il y avait un Conseil de sécurité, la seule instance qui n’existait pas était le Parlement. Il a fallu attendre la réélection de l’Assemblée, ce qui a été fait deux ans après. Sur question, je précise que les décisions pour le pays étaient discutées au niveau du HCE et, comme dans n’importe quel autre pays, ces décisions ne sont pas contestées. Seules les décisions du gouvernement sont discutées devant le Parlement.

-10. Comment les décisions du HCE étaient-elles mises en œuvre Jusqu’aux instances politiques du bas de l’échelle?
Il y avait des rouages normaux. Bien que la situation était particulière, il y avait des instances administratives, des départements. Une décision du HCE passait au gouvernement qui lui-même communiquait la décision au ministère concerné. Ensuite ce dernier faisait passer ces  décisions  dans les départements et puis, au niveau local, dans les communes. Dans les communes, il y avait des gens élus. Toutes les places libérées par le FIS, qui a été dissous, ont été remplacées par les DEC. Sur question, je précise qu’au niveau communal, c’était le maire avec ses adjoints qui mettaient en œuvre les décisions.
Je précise que la seule particularité du système était qu’il fallait suppléer au Président qui avait démissionné. La solution d’une présidence collégiale a été préférée à un Président unique.

-11. Quelle était le rôle de l’armée dans le régime politique de 1992 à 1993 ?
Dans une situation de subversion, l’armée a été appelée par le HCE, comme les autres services de sécurité, à participer à la contre-subversion, soit à la lutte antiterroriste.
Sur question, l’armée m’était hiérarchiquement subordonnée. L’engagement de l’armée était décidé au niveau du HCE. Il a été décidé de créer des camps d’éloignement sous tutelle de la justice, dont certains étaient gérés par l’armée. Il devait y avoir quatre ou cinq camps. Pendant une période, ces gens étaient éloignés parce qu’ils créaient de l’insécurité. Les services de sécurité ou les enquêtes judiciaires déterminaient qui devait être éloigné. L’armée dans certains cas a été appelée à la rescousse, sinon ce n’est pas un service de police. Elle apportait son aide. Les gens mis dans les camps étaient arrêtés dans les rues. C’était la justice qui décidait systématiquement qui devait être placé en détention. Il s’agissait d’une justice nationale. Les juges dépendaient de tribunaux nationaux de première instance.
Sur question, je précise que certains ont été libérés, il y a eu des recours. Je ne peux pas vous dire pendant combien de temps ces gens étaient éloignés. C’était très difficile de se référer à des normes strictes dans une situation catastrophique comme celle qu’on était en train de vivre. Je n’aurais jamais pensé que les Algériens pouvaient attaquer d’autres Algériens et aller jusqu’où ils sont allés. Ce n’est pas une simple guerre civile. La conviction religieuse était à l’origine de tout ça, ces événements néfastes.
Sur question, je réponds qu’à la base de l’éloignement il y avait les lois en vigueur. C’était le tribunal qui décidait le temps d’éloignement. Je ne connais pas les lois. Je ne connais que les lois militaires. Lorsqu’en face de vous vous avez quelqu’un qui est armé, vous répondez de la même façon ! Il y a toujours des dépassements et c’est très difficile de les régler. C’était au-deçà des autorités. J’ai entendu des cas de dépassements. Sur question, je précise qu’un dépassement pouvait aller jusqu’à donner la mort. Que voulez-vous, quand des hommes arrivent dans un village où il y a eu une attaque, ils y trouvent des femmes éventrées, des bébés fracassés contre les murs, des cadavres démembrés, il arrive donc parfois qu’une personne réagisse mal.
Ce n’était pas quelque chose de généralisé. Ce sont des cas qui nous ont été signalés et qui remontaient parfois jusqu’au ministère. On remettait l’auteur entre les mains de la gendarmerie. Pour vous donner un exemple, un ancien militaire ayant commis des dépassements est seulement récemment sorti de prison. On peut comprendre ces dépassements, mais il faut quand même prendre des mesures. On veut faire croire que c’était les autorités qui étaient responsables. S’il y a eu des dépassements de la part des autorités, ça ne pouvait être que des dépassements d’individus isolés qui, une fois portés à la connaissance de l’autorité, étaient sanctionnés.
Tous les autres carnages sont le fait d’éléments du FIS qui, eux, ne sont pas sanctionnés. J’ajoute même qu’un de ces éléments se trouve en Suisse, à savoir M. Aït  Ahmed. J’ajoute que pendant la période difficile (les années 1990) j’ai été agressé à l’aéroport de Genève par un élément du FIS.

-12. Comment les décisions de l’état-major de l’armée étaient-elles mises en œuvre jusqu’au bas de l’échelle militaire ?
Il y avait des actions militaires de toute sorte, des opérations, des manœuvres, des ratissages pour essayer de capturer les terroristes. Les décisions prises au sein du HCE passaient par le ministère de la Défense, puis par le chef d’état-major, qui à cette époque était Mohamed Lamari. C’était la voie normale. En dessous du chef, il y avait des commandements régionaux. Il y avait des états-majors opérationnels, responsables de monter des opérations dans une région, par exemple lors de signalements de terroristes. Un chef d’état-major opérationnel n’était pas une fonction fixe. Les petits états-majors opérationnels étaient crées en fonction des besoins. Ils étaient dirigés par un militaire du rang de colonel, en général. Ça pouvait aussi être un général. Une fois que l’état-major opérationnel avait défini la mission, cette dernière était attribuée aux unités de terrain (régiment, bataillon), placées sous le commandement de leur propre chef qui pouvait être un chef de bataillon ou de régiment (lieutenant-colonel, commandant). Ces derniers sont les exécutants des décisions prises par l’état-major opérationnel.

-13. Comment expliquer que des personnes isolées, alors qu’elles étaient placées sous un commandement, aient pu commettre des dépassements ?
Je vais vous raconter une histoire. Il y avait un barrage sur la route. La majorité du groupe de personnes a été tué. Le chef d’unité a pris les gens blessés et les a amenés dans l’hôpital du village voisin. Mais entre temps, il a vu une personne habillée avec un habit islamique en train de rigoler. Il a pris cet homme et l’a abattu d’une rafale. Je le répète, ce sont des cas très limités. Pour tous les cas portés à notre connaissance, nous avons réagi.
Sur question, je précise qu’une unité ne peut pas avoir commis un dépassement en groupe. L’armée est issue du peuple. Je ne comprends pas comment les gens pouvaient être capables de faire ça.  Je suis passé en procès à Paris.
C’est moi qui ai voulu le procès. Je n’étais pas prévenu, c’était dans le cadre de la plainte qui avait été déposée à mon encontre. J’ai écrit un livre qui expliquait les événements. En raison de la Convention de 1984, le procureur français n’aurait pas dû accepter la plainte parce que je n’étais pas poursuivi chez moi, mais il l’a tout de même fait. Il y a des Algériens qui ont déposé plainte à mon encontre.
Sur question, je précise que j’ai porté plainte contre cette personne pour aller au tribunal, afin d’expliquer au monde entier ce qui s’est passé en Algérie. Nous étions parasités par les éléments du FIS et par vous, les Européens. Je voulais seulement que les gens m’entendent. Le procureur de la République a dit qu’il y avait deux visions des choses. Je savais très bien que les autorités françaises n’allaient pas prendre de décision politique. L’essentiel c’était de communiquer à la presse ce qui s’est passé en Algérie.
M. Gez, auuteur du livre La Découverte, est responsable de tout ça. Il s’est basé sur le «livre blanc» qui signalait les dépassements. Habib Souaidia, s’inspirant du livre de Gez, a dit qu’un enfant avait été brûlé par l’armée. Je déposé plainte contre lui et amené des témoins, notamment le père de l’enfant en question, qui a témoigné que son fils avait été tué par un islamiste qui lui avait interdit de vendre des cigarettes et non par l’armée. Tous ces témoignages sont faux. Sur question, je précise que les Français ne pouvaient pas trancher. Je veux savoir qu’est-ce qu’on me reproche. Prenez votre décision pour me poursuivre !
Note : la procureure fédérale suppléante explique que c’est justement pour décider de la suite de l’affaire qu’on est là.

-14. Pour quelle raison vous êtes-vous retiré de vos fonctions politiques en juillet 1993 ?
Une personne peut décider de son avenir ! Ce n’est pas mon métier d’être ministre. Sur question, je précise que j’ai tout simplement quitté ma carrière militaire. J’ai décidé de prendre ma retraite.

-15. Comment se fait-il que vous soyez resté membre du HCE après juillet 1993, alors que vous aviez quitté votre fonction ministérielle ?
Ce n’est absolument pas vrai. J’ai continué comme général, je suis encore resté quelque mois en fonction et puis je suis parti. Je suis resté mais sans fonction et c’était, soi-disant, pour ma sécurité. Je n’ai rien fait pendant cette période. Je précise que j’ai subi un attentat fin 1992, début 1993. Il s’agissait d’une voiture piégée qui a explosé au passage de ma voiture. Je n’ai pas été blessé, juste secoué. Sur question, je précise que j’ai été visé en tant qu’homme d’Etat. Il y a toujours des gens qui ne partagent pas nos opinions. L’auteur est en vie et est maintenant libre. En effet, comme il y a eu la concorde civile nationale à la fin de cette période, il a été libéré. L’autre attentat que j’ai eu c’était avant 1992. J’ai été visé parce que j’étais ministre de la Défense et que je pouvais m’opposer à leurs projets.

-16. Etes-vous resté actif dans la politique algérienne à partir de 1994 ?
Depuis, je défends mes idées dans la presse et dans les livres. Je précise, par contre, que je ne suis pas membre d’un parti et que je n’ai aucun lien avec le gouvernement ni les autorités politiques.  J’ai gardé très peu de contacts avec l’armée. Je préfère laisser les gens agir, prendre leurs responsabilités. Moi j’ai déjà joué mon rôle.

-17. Pour quelle raison écrivez-vous en 1999, dans vos mémoires, que c’est vous qui avez nommé Zeroual ?
Je précise que j’ai nommé Zeroual comme ministre de la Défense. Comme j’ai subi un attentat et qu’autour de moi il n’y avait personne pour me remplacer et qu’il n’était pas question que je redevienne ministre, j’ai préféré quitter et désigner un ministre de la Défense qui pouvait remplir cette charge. En fait, Zeroual avait eu la même carrière que moi. Je voulais que l’armée reste soudée, c’est pour cette raison que j’ai choisi Zeroual. Je n’ai pas désigné Zeroual comme Président. J’ai proposé son nom au HCE qui l’a avalisé.
Après relecture, je précise concernant les lignes 4-7 les éléments suivants : ayant subi un attentat en ne voulant pas revenir au poste de Ministre de la Défense, j’ai voulu désigner un remplaçant solide et j’ai quitté ma fonction de ministre.
J’aimerais savoir pourquoi vous me poursuivez maintenant, je ne comprends pas ce réveil tardif.
Note : la procureure fédérale suppléante explique que sa présence en Suisse nous a été communiquée seulement hier.
L’audition est suspendue à13h10. L’audition est reprise à 14h.

-18. Quels moyens le HCE a-t-il mis en place entre 1992 et 1993 pour lutter contre le terrorisme islamiste ?
Les moyens visaient à répondre à leur violence. On a mis en œuvre tous les moyens que l’on peut imaginer. L’Etat utilisait les mêmes moyens, il ne pouvait que se défendre. C’étaient les moyens sécuritaires : les services de sécurité agissaient dans les villes et l’armée dans les campagnes. Il y avait un service de coordination pour l’ensemble des services. La coordination était assurée par les représentants des différents services. Ces représentants étaient des personnes qui avaient des responsabilités importantes. Le service de coordination s’occupait de collecter des renseignements à fournir aux différents services et à l’armée. Le service de coordination était subordonné au chef du gouvernement, toute la politique de sécurité était mise en œuvre par le gouvernement, mais les décisions et la politique de sécurité générale étaient décidés par le HCE.
Sur question, je précise que lors d’une opération concrète, le service de coordination intervenait seulement s’il y avait différentes forces qui intervenaient. Coordonner signifiait gérer les informations. Les chefs d’opération, militaires, de la police ou de la gendarmerie dirigeaient les opérations. Le service de coordination ne faisait que leur donner des informations.
Sur question, lorsqu’il y avait plusieurs forces, le plus apte était désigné comme étant le chef de l’opération. Ce n’était pas systématiquement le chef d’un service plutôt qu’un autre.
Sur question, l’armée n’avait pas toujours le commandement suprême des opérations en présence de plusieurs forces.
Sur question, la lutte contre le terrorisme c’est de réduire le terrorisme avec des moyens politiques et bien sûr avec les armes. Le HCE a donné des orientations pour combattre le terrorisme, mais ensuite c’était à chaque commandement et chaque service d’agir, comme il est formé pour le faire.
Sur question, les orientations données aux forces de sécurité en matière de lutte contre le terrorisme  étaient de combattre le terrorisme avec les moyens dont ils disposaient. Sur question, je précise que le but était d’assainir la situation par tous les moyens, militaires ou politiques. Je vous ai cité la «loi du pardon» dont le but était d’essayer de ramener ces gens à la raison. On ne s’est donc pas contentés de les combattre par les armes, mais on a essayé d’assécher ce nid de terrorisme par tous les moyens.
Je vous cite un exemple, avant l’arrivée du Président, nous avons réussi à faire descendre du maquis 6000 terroristes qui avaient donc décidé de baisser les armes. Il ne leur restait plus que la couverture politique.
Sur question, je réponds que la politique de lutte contre le terrorisme était écrite noir sur blanc sur les ordres d’opération établis par les commandements locaux. Les commandements locaux ont agi sur la base des orientations générales du gouvernement et les ont traduites dans des ordres d’opération. Les orientations générales du HCE n’étaient pas écrites noir sur blanc, mais la position était claire. Si le HCE existait, c’était concrètement pour combattre le terrorisme. (Suite demain)

samedi 22 octobre 2011

L’Algérie de Tom et Jerry

 

 

Par Rochdi Siddiq
Durant trente ans de vie politique stable, l’Algérie a baigné dans le scénario de « Popeye ». Chacun des acteurs sociaux trouvaient son compte dans la redistribution sociale. La manne  financière issue des recettes pétrolières de l’époque n’avait pas l’élasticité à la hausse que nous vivons aujourd’hui. Malgré cette contrainte, l’endettement extérieur et le recours massif à la planche à billet, permettait de donner à tout un chacun du moins le minimum vital sinon un revenu suffisant pour se remplir la panse à la Popeye. L’Etat providence était craint, quoique honni en cachette, et subventionnait tous les produits de large consommation à la satisfaction de toutes les couches sociales. Un régime de cette sorte, insouciant et dépensier aurait pu tenir 100 ans sans être inquiéter réellement sur sa politique économique, car les agrégats économiques n’avaient de valeur que par leur côté philanthropique, et les représentants de l’Etat n’avaient de compte à rendre qu’à l’intérieur d’un satisfécit général de leur bilan annuel qu’on remettait jamais en doute. Il a fallu attendre l’écroulement du bloc soviétique qui constituait la bouée de soutien du régime de popeye algérien pour voir nos dirigeants renouer avec les réalités économiques, craignant de ce fait les mauvaises notes du FMI qui les a embrigadés à l’intérieur de ses fourches caudines ( entendre par là leur faire subir un traitement humiliant avec son fameux plan de réajustement structurel). Ce plan a mis fin  au cycle de vie du régime Popeye.
Par la suite les fameuses réformes initiées sous l’égide du FMI ont visé à renverser la tendance du passé. Désormais l’économie est plus ouverte, le secteur public qui distribuait la rente au profit d’une large population s’est rétrécie après son démantèlement touchant presque tous les secteurs. L’aisance, au profit des masses, vécue jusqu’à l’écroulement de l’ère socialiste, a disparu pour laisser place à une économie s’appuyant sur la recherche du gain pour survivre coûte que coûte. Une large majorité de la population a fini dans le labyrinthe de l’économie informelle. Cette économie savoure les fondements de l’import-import au profit d’une caste de nouveaux affairistes invisibles et où seuls émergent  les réseaux de revendeurs issus des couches populaires, rejetés par le secteur public et/ou recalés par l’école (suite au désastre de l’éducation).
Dans ce scénario, les pouvoirs publics qui ne peuvent pourvoir aux besoins de cette population, avec la carte périmée de Popeye, laisse faire indéfiniment selon la conjoncture, tout en maintenant leurs privilèges extravagants. Alors de quoi s’agit-il.
Dans un pays où l’Etat est fort et accomplie sa gouvernance selon la règle de la démocratie, c’est à dire redevable devant les électeurs, c’est-à-dire le Peuple, le phénomène de l’informel appelé l’économie sous-terraine (underground en anglais) représente entre 5 et 7% de l’économie nationale.
Dans le cas de l’Algérie, nous savons que notre économie ne repose sur un mono-produit que sont les hydrocarbures exportées, le reste est quasiment nul et tributaire des produits importés. L’Etat ne peut donc assurer un revenu à tous sur la base d’un plein emploi du secteur économique réel. Le résultat est qu’il laisse faire. L’informel de nos jours a pris le pas et s’est donné pignon sur rue. Qu’il s’agisse de l’économique ou du politique, à chaque fois que l’Etat est dans l’impuissance de satisfaire toutes les revendications l’informel se manifeste de manière inopinée.
On assiste de nos jours à un nouveau cycle de Tom et Jerry qui s’est substitué au cycle de Popeye.
Qu’en est-il du légendaire Tom et Jerry et bien ceci :
« Le scénario de chacun des épisodes est basé sur les tentatives infructueuses de Tom pour attraper Jerry et le chaos que leurs bagarres engendrent. Les raisons qui poussent Tom à pourchasser Jerry vont de la faim purement féline au simple plaisir de tourmenter plus petit que soi, en passant par un désir de revanche pour avoir été ridiculisé. Tom ne réussit cependant jamais à s’emparer de Jerry, en particulier à cause de l’intelligence de la souris. La série est célèbre pour l’utilisation de gags parmi les plus destructifs et violents jamais utilisés dans un dessin animé : Jerry découpant Tom en deux, Tom utilisant toutes les armes et artifices à sa portée pour tenter d’assassiner Jerry ».
Ceci pour illustrer notre régime qui gouverne les algériens depuis 1962, après le cycle de Popeye, mort et enterré, il est devenu par la force des choses le Tom du peuple algérien qui lui s’apparente à Jerry.
Chaque jour que Dieu fait nous assistons à un épisode légendaire de Tom et Jerry dans les rues des villes et villages algériens (rapportée par la presse nationale) et cela depuis la décennie noire (répression du pouvoir contre les révoltes de la faim subie par le Peuple, revendication réprimée d’un toit, d’une amélioration du pouvoir d’achat, révolte réprimée contre la mal-vie, contre la hogra, revanche du pouvoir contre la révolte de 1988 et le vote massif pour le fis. Relâchement du pouvoir pour calmer les soubresauts du Peuple (dispositif ansej, micro-crédit, laisser-faire, logement social en bataille rangée etc.). Le pouvoir Tom croît qu’il est plus fort avec sa police usant de matraque et de gaz lacrymogène, mais le peuple Jerry lui prouve chaque jour qu’il ne l’entend pas de cette oreille. Parfois il lui donne l’impression que sa faim est assouvie, mais le temps de faire durer le plaisir et le revoilà dans sa quête de sa part de gâteau, allant jusqu’à extérioriser sa colère dans la destruction et la violence incontrôlable.
Le pouvoir actuel n’a pas encore compris qu’il ne pourra se débarrasser de Jerry que lorsqu’il acceptera de se retirer de sa vue définitivement. La raison est simple : un pouvoir impuissant (incapable d’unir tous les algériens, à leur assurer un avenir pour leurs enfants, un toit familial, un emploi productif, une éducation exemplaire, une justice sociale, une démocratie sociale, toutes ses valeurs fondamentales nécessaires à la vie décente d’un peuple) ne peut pas battre Jerry qui est toujours en train d’imaginer les astuces pour le ridiculiser publiquement, car il y va de sa survie. Attention la télévision est mondiale de nos jours.
« Un pouvoir tyrannique sera abandonné, inéluctablement,  par son peuple sur le champ de bataille».
Rochdi Siddiq

samedi 15 octobre 2011

Un ex-agent de la CIA accuse l’Arabie saoudite et Israël d’être derrière l’attentat déjoué des Iraniens

par Hicham Hamza -




Roulement de tambour. Alors que la menace nucléaire iranienne refait parler d’elle, Téhéran est aussi dans le collimateur pour avoir tenté, selon l’Administration Obama, d’assassiner un diplomate saoudien aux Etats-Unis. Problème : des voix inattendues s’élèvent pour dénoncer une supercherie justifiant une attaque militaire contre l’Iran.
Mais quelle mouche a piqué FOX ? Réputée pour son patriotisme réactionnaire, la chaîne américaine a pourtant diffusé hier soir une interview digne d’une web-tv crypto-gauchiste. Un ancien juge fédéral reconverti dans le talk-show, Andrew Napolitano, s’est entretenu avec Michael Scheuer, l’homme jadis responsable-au sein de la CIA- de l’unité chargée de traquer Oussama Ben Laden.
Interrogé à propos du complot iranien présumé qui visait l’assassinat d’un ambassadeur saoudien sur le sol américain, Michael Scheuer évoque (à 1’55 de la vidéo ci-dessous) une hypothèse décapante :
« Les seuls gens qui pourraient bénéficier de cela seraient les Israéliens et les Saoudiens. Si j’étais à la recherche d’une opération de contre-espionnage pour cerner l’origine de cette information, je serais très tenté de vérifier la piste d’un instigateur israélien ou saoudien. Car, sur le long terme, Israël et l’Arabie saoudite sont deux ennemis bien plus dangereux pour les Etats-Unis que l’Iran. Celui-ci est un pays de troisième rang sur le plan militaire que nous pourrions facilement gérer.
 Le Congrès est emballé à l’idée de faire la guerre à l’Iran. Écoutez les sénateurs Graham, McCain et Joe Liberman : ils sont dans les mains des Israéliens. Les Saoudiens sont très influents. Quand vous observez ce genre de choses, vous devez vous poser la question : qui profiterait de cette guerre ? Israéliens et Saoudiens adoreraient voir notre argent et nos jeunes gens être tués pour combattre leur ennemi en Iran ».
Déjà sceptique lui-même quant à l’allégation d’un attentat conçu par Téhéran, l’animateur va encore plus loin : « Vous vous êtes engagé dans le contre-terrorisme l’essentiel de votre vie. Dites-moi, Michael, pourrait-il s’agir là d’un cas dans lequel le gouvernement américain aurait été mené en bateau par des entités étrangères (...), quelqu’un qui voulait fomenter de l’animosité entre l’Iran et les Etats-Unis ? ».
Réponse de l’initié du renseignement : « Je ne pense pas que cela soit impossible. Bien sûr, je n’ai pas d’information en ce sens mais quand vous tirez les conclusions -à qui bénéficie une action militaire contre l’Iran, il s’agit seulement des Israéliens et des Saoudiens. Et il y a un précédent pour cela. Nous avons déjà mené deux guerres contre l’Irak en faveur des intérêts israéliens et saoudiens. Nous sommes toujours poussés à faire tuer nos concitoyens pour leurs intérêts. Cela peut se reproduire. »
Michael Scheuer n’a pas exactement le profil d’un antisioniste primaire. Employé dans la CIA de 1982 à 2004, il fut notamment chargé de la « station Alec » de 1996 à 1999 –celle destinée notamment à la collecte d’informations sensibles sur al-Qaida. Par la suite, les attentats du 11-Septembre ont conduit à sa réinstallation dans l’unité en tant que conseiller du nouveau responsable. Après sa démission en 2004, il deviendra professeur à l’Université Georgetown mais se verra progressivement écarté ailleurs de certaines positions honorifiques en raison de sa critique de l’expansionnisme militaire ou du soutien systématique à l’Etat hébreu-tous deux jugés contraires à l’intérêt du peuple américain.
Pour les anglophones, la séquence de l’entretien diffusé jeudi soir sur Fox Business Channel se déroule entre 0’20 et 3’50.

 

Bonus 
Trois détails méritent d’être soulignés :
·  Par souci d’augmenter son audience ou de tester une nouvelle ligne éditoriale, la chaîne FOX semble de plus en plus s’aventurer en terrain politiquement sensible. Une vignette apparue à l’image durant l’entretien évoque ainsi le concept sulfureux de « l’attentat sous fausse bannière  » (false flag) ou l’idée selon laquelle l’Etat peut commettre des actes criminels, terroristes ou militaires qui seront imputés à un ennemi ciblé au préalable.
·  L’animateur de l’émission n’a pas hésité à conclure son talk-show par un réquisitoire singulier contre le FBI et sa pratique méconnue consistant à réaliser de vrais-faux attentats dans le but d’attirer les aspirants terroristes.

 

·  CNN se démarque de FOX en relayant, sans trop sourciller l’information de la Maison Blanche. Mieux encore, la chaîne n’hésite pas à enfoncer le clou de manière quelque peu maladroite. Quand le journaliste Wolf Blitzer, ex-employé de l’AIPAC- un puissant lobby pro-israélien- interroge ou, plus exactement, donne la parole à la sénatrice démocrate Dianne Feinstein –fidèle supportrice de l’Etat hébreu, cela donne une interview étrange au cours de laquelle les deux protagonistes semblent s’efforcer de convaincre le téléspectateur, à travers diverses contorsions, de la réalité de l’attentat iranien déjoué. « Ce fut réel…vrai…pour de vrai….réel… ». Comme l’avant-goût d’une propagande de guerre inéluctable.

 

mardi 11 octobre 2011

Les manifestants se battent contre Wall Street d'une façon très américaine

Attaqués par la police et les politiciens, les manifestants de Wall Street deviennent plus forts

Laurie Penny (The Independent)
Mardi 11 Octobre 2011



La police de New York essaye d'arrêter des manifestants entrant dans Wall Street / AP
La police de New York essaye d'arrêter des manifestants entrant dans Wall Street / AP
Ils ont dit que cela ne pourrait jamais arriver en Amérique. Au pied de Wall Street, dans le ventre de la bête du marché de la finance agressive, deux mille protestataires, surtout des jeunes manifestant contre l'avidité des entreprises, essayent de franchir une barrière de police et occuper la rue iconique. Le NYPD (la police de New York) les fait reculer avec des gaz lacrymogènes et des matraques, un officier en chemise blanche tape dans la foule au hasard avec sa matraque.
 
L’air sent le poivre vaporisé et il y a des cris perçants dans la foule. "Qui diable protégez-vous ?" Scandent-ils. La génération d'Obama commence à recevoir une réponse désagréable à la plus basique des questions politiques.
 
Ces manifestants font partie d'une marche venant de la manifestation Occupons Wall Street de Liberty Plaza de Manhattan, qui est maintenant en place depuis  presque trois semaines. Des manifestations similaires contre l'injustice économique apparaissent brusquement dans des villes à travers les États-Unis et des milliers de gens sont impliqués. Deux heures plus tôt, sous les fenêtres illuminées des palais de la finance de Wall Street, j'étais debout au milieu d'une foule de 20 000 étudiants, des syndicalistes, des activistes et des citoyens en colère scandant au son des tambours : "les gens, unis, ne seront jamais vaincus!"
 
"Remercions  Dieu pour les syndicats, mec," dit Lauri Faggoni, un cinéaste, debout à côté de moi dans la bousculade.
 
Les syndicats, emballés par l'énergie de la protestation, ont rapidement  apporté leur soutien aux occupants et les ont rejoints pour une marche et un rassemblement à la Place Foley, reprenant leur litanie : "nous sommes les 99 pour cent" - la majorité des Américains qui ont été spoliés de leur part de la richesse nationale par  les "1 pour cent" restant.
 
Alors que la nuit tombe, les tambours battent sur les marches de la Liberty Plaza, où il n’y a que la place de debout. "Nous sommes ici pour vous remercier!" Un ouvrier impliqué dans la grève contre Verizon dit à la foule excitée. "Nous devons reprendre cette ville, nous devons reprendre cet Etat et le plus important de tout, nous devons reprendre notre démocratie."
 
Le processus de reprendre la démocratie, cependant, est rarement indolore. Comme le cri monte "marchons sur Wall Street" et un groupe se détache pour faire juste ment cela, les flics commencent à bouger. Jusqu'à présent, 23 arrestations de paisibles manifestants ont été enregistrées à New York. Sur Broadway, à l'intersection de Wall Street, les manifestants sont traînés hors de la foule ou des trottoirs, grossièrement menottés et emportés par la police.

Une des victimes est une jeune femme blanche seule, que je vois être poussée le long de la route par un certain nombre de policiers. "J'étais juste debout sur le trottoir. Apparemment c'est illégal maintenant, être juste debout sur le trottoir," dit-elle, alors que les flics lui tordent les mains derrière son dos et la poussent dans une voiture. Je demande quel est son nom. " Troy Davis," dit-elle, nommant l'homme qui a été de façon controversée exécuté par l'état de la Géorgie la semaine dernière. "Troy Davis. Emmett  Till. Medgar Evers. Martin Luther King."

 
Le Candidat républicain au poste présidentiel Herman Cain a dénoncé les manifestations comme étant " non-Américaines", mais dans la foule, sur un panneau en carton on lit "ceci est patriotique". Comme j'observe la foule, majoritairement des jeunes, repoussés hors de Wall Street par les lignes de police, une chose extraordinaire se passe. Un jeune homme commence à crier le texte du Premier Amendement de la Constitution. "Le Congrès ne fera aucune loi respectant l’établissement d’une religion, ou interdisant le libre exercice de cela," commence-t-il. Immédiatement, utilisant la technique de "l'homme micro" que les occupants ont développée pour porter leurs voix, mille autres le scandent après lui, condamnant le NYPD (la police de New York) pour "l'abrègement de la liberté de parole, ou de la Presse ; ou le droit des gens à se réunir paisiblement et adresser une pétition au Gouvernement pour une réparation de griefs."
 
Alors que les manifestants descendent dans les rues des villes à travers les EU, ils ont raison de se considérer comme faisant partie d'un mouvement global- mais il y a quelque chose de curieusement américain à cela.

Traduit de l'Anglais pour La Nation par Hadj Ben.



Traduit de l'Anglais pour La Nation par Hadj Ben.

samedi 8 octobre 2011

Le régime algérien a horreur de la Constituante

 Sadat Abdelyazid

Les régimes qui se succèdent en Algérie depuis un demi siècle, de Ahmed Benbella jusqu’à aujourd’hui craignent-ils la Constituante comme une maladie incurable.

Tous les observateurs, intérieurs ou extérieurs, acteurs politiques ou neutres, savent comment les gouvernements, ou plutôt les fractions qui les mandatent, agissent pour la contrecarrer mais ils ne parviennent pas à expliquer clairement la réalité du pourquoi ils le font.

Hocine Ait Ahmed, pour ne citer que cet immense démocrate, prône l’idée de la constituante depuis qu’il a quitté son village à peine adolescent tancé par ses parents de cette caste maraboutique qui possède plus que des survivances palpables dans les contrées de la Kabylie, même dans les grandes métropoles où vous pouvez encore entendre un grand cadre de la nation, qui travaille à son compte ou pour le gouvernement, quand il lui est demandé s’il est kabyle il répond en ajoutant « et marabout en sus », histoire de vous avertir sur son lointain passé de berbérité musulmane.

Le pourquoi en réalité réside dans le fondement, mieux, dans les fondations de la parole proclamant l’intégrité de l’Etat, comme nation et territoire. Depuis la première réunion au cinéma Majestic, à Bab El Oued, au lendemain de l’Indépendance, sur les premiers textes de loi, qui a échoué et qui a ad vitam æternam banni la Constituante des paradigmes de l’entendement politique en Algérie, les pouvoirs d’administration et de décision entre les mains de l’armée, depuis celles des frontières jusqu’à celle-là, aujourd’hui, qui a peur de donner le Renseignement au civiles, font les gymnastiques les plus fulgurantes pour ne pas permettre à la pensée des vicissitudes courantes de vivre l’Islam des populations dans son acceptation laïque.

Ce n’est pas pour rien que le symbôle de cette traduction dans te terrain de la pensée universelle, je parle de Mohamed Arkoun, le fils de mon village, le maître incontesté du refus « du prêt à croire et à obéir », reconnu par l’intelligibilité mondiale pour son invention de l’ « islamologie pratique » qui met à nu, pour ne pas dire qui déshabille l’intégrisme et ses corollaires bellicistes, et qui crée de l’angoisse permanente dans les centres névralgiques du pouvoir en Algérie voulant coûte que coûte maintenir l’idée de l’islam dans les signification tragiques d’une religion de conquête comme l’essentielle constante nationale, ce n’est pas gratuit donc que son monumentale œuvre récompensée par toutes les plus hautes élites spirituelles de la planète – auxquelles les dirigeants algériens ne donnent aucune importance – a été interdite d’enceinte dans les registres d’apprentissage intellectuel en Algérie.

C’est, en revanche, le voisin marocain qui a compris la fulgurance de son érudition pour lui avoir ouvert honorablement les portes du royaume et permettre ensuite à sa vénérable dépouille de s’y reposer en paix. L’on se rappelle la cérémonie funèbre il y a une année qui a attitré les sommités culturelles et politiques de tous les coins de la planète mais seulement un vague correspondant diplomatique du consulat algérien à Paris, venu en catastrophe, et à titre personnel le responsable du centre culturel algérien en France, Yasmina Khadra en l’occurrence, de son vrai nom Mohamed Mouleshoul, dont il est difficile de savoir s’il est encore officier de l’armée.

Donc l’ « essentielle constante nationale » pour barrer la route à une constituante que le régime - qui ne peut pas se penser sans son renouvellement voltairien, bastonnant et esquivant, glorifiant et combattant l’islamisme – redoute qu’elle mette le doigt cette fois sur le véritable « essentiel », à savoir la préfiguration de justes débats sur le premier article de la Constitution (l’Islam religion de l’Etat) car l’article stipulant République Algérienne Démocratique et Populaire est à comprendre dans le sens du préambule. Le préambule justement.

On y lit dans le troisième paragraphe le triptyque de la composante fondamentale : Islam, arabité, amazighité.

Essayons de comprendre les rédacteurs de ce texte.

Aucune créature du bon Dieu ne peut se targuer de naître adulte, de venir au monde programmé génétiquement pour une croyance et un langage particuliers. Nous naissons avec un organe cérébral pour les performances idéelles, un larynx, une glotte et des groupes de souffles aptes à nous donner la capacité de parler, sans plus au départ. Mais regardons de près des situations de vécu réel.

Imaginons deux enfants en bonne santé nés et grandis jusqu’à la scolarité, l’un dans une bourgade de Kabylie, l’autre dans un lieu-dit en pays chaoui, par exemple au hasard, le premier quelque part à Taourirt Aâden dans le Djurdjura et le second à Tabegart dans les Aurès. Ils rentrent à l’école pour apprendre l’arabe langue officielle, en considérant qu’ils savent déjà réciter la fatiha sans la comprendre - ce qui ne veut absolument pas dire que la majorité du milliard de musulmans dans le monde, sans compter les reconvertis à travers la planète, la comprenne mot à mot – c’est-à-dire qu’il vont apprendre une langue nationale officielle ne sachant pas parler à la maison ne serait-ce qu’une variante dialectale de celle-ci. Pédagogiquement et linguistiquement, les deux pauvres têtes brunes vont devoir apprendre en vérité une langue étrangère.

L’extrapolation est voulu extrème parce que dans la réalité du premier cursus scolaire, du manuel et de l’échange oral avec le maître, l’arabe lui-même tel qu’il est enseigné est une langue étrangère sauf pour les génies précoces possédant les capacités innées de la fousha d’El Mounfalouti ou de Khalil Jabran. Pendant qu’il faut aussi ne pas perdre de vue le natif des villages de Saïda, de Annaba ou de Tlemcen pour qui il se poserait la question de lui apprendre l’amazigh. Mais dans ce cas quel amazigh ? Celui de Tizi Ouzou et Béjaïa, de Batna et Oum el Bouagli, ou de Ghardaïa et Ouargla, et cetera ?

C’est dire déjà que la Constitution jusqu’à sa version de 88, tripotée avec la science de l’abrutissement pour permettre le dessein d’une personne au détriment de la destinée de plus de trois dizaines de millions de citoyens, pour reprendre à la volée le concept du khalifat, soi-disant pour combattre la violence intégriste et « asseoir les libertés individuelles et communautaires », au moment où la démocratie planétaire se cherche des sophistications plus raffinées, plus rationnelles, de but en blanc elle met la nation algérienne dans une espèce de situation d’existence identitaire schizoïde. Où par des recoupement de termes d’Histoire et d’acception linguistique, il est difficile de faire la différence entre celui qui jadis a consenti le sacrifice de laisser veuve et orphelins pour le recouvrement de la dignité nationale et l’autre, pour la gloire d’un Islam abstrait, qui se fait s’exploser avec une bombe face à un commissariat de police jouxtant une école près d’un abri bus : constitutionnellement parlant, ils sont tous les deux martyrs.

Je suis persuadé que la Constituante ne permettra plus, au moins, cela.


Abdelyazid sadat

mardi 4 octobre 2011

Comment la globalisation en Asie est née dans un bain de sang

Globalisation en Indonésie : le pillage après le massacre

John PILGER
Voici un texte rédigé en juillet 2001. "Si vous connaissiez la vérité sur ce qui s’est passé en Indonésie, vous comprendriez parfaitement vers quoi on nous entraîne aujourd’hui..." ou comment la globalisation en Asie est née sur l’un des plus grands (et plus méconnus) massacres du 20ème siècle - sur fond de désinformation médiatique et préparation du coup d’état au Chili.


14 juillet 2001 : Il y a 35 ans, une dictature militaire s’est instaurée en Indonésie et un million de personnes étaient tuées pendant qu’on déroulait un tapis rouge au capitalisme occidental. Ce fut le début de la globalisation en Asie, un modèle du genre qui nous a légué sweatshops et corruption.
En survolant (la capitale) Jakarta, il n’est pas difficile d’imaginer pourquoi la ville cadre bien avec la description de l’Indonésie par la Banque Mondiale. Des nombreux lauriers attribués par la Banque Mondiale à l’Indonésie, le dernier en date était « élève modèle de la globalisation ». C’était il y a presque quatre ans, au cours de l’été 1997. En quelques semaines, le capital global avait fui le pays, la bourse et la monnaie nationale s’étaient effondrées, et le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté absolue a frôlé les 70 millions. L’année suivante, le Général Suharto a été obligé de démissionner après 30 ans de dictature, en emportant avec lui une indemnité de licenciement estimée à 15 milliards de dollars, soit l’équivalent de près de 13% de la dette totale du pays, dont une bonne partie due à la Banque Mondiale.
Vu du ciel, le plus frappant chez cet élève modèle est le modèle industriel qu’il propose. Jakarta est cernée par de vastes terrains appelés zones de traitement économique qui comprennent des centaines d’usines qui fabriquent des produits pour les compagnies étrangères : des vêtements que vous achetez dans votre rue marchande, des pantalons branchés de marque Gap jusqu’aux Nike et autres chaussures de sport Adidas ou Reebok qui se vendent plus de 100 euros la paire chez nous. Dans ces usines, des milliers de travailleurs, en majorité des jeunes femmes, travaillent pour moins d’un euro par jour. Au taux de change courant, il s’agit du salaire minimum en Indonésie qui, selon le gouvernement, correspond à la moitié d’un salaire de survie. Les travailleurs chez Nike ont 4% de remise sur les chaussures qu’ils fabriquent – même pas le prix des lacets. Mais ils peuvent s’estimer heureux : ils ont du travail, eux. Le « succès économique dynamique et en expansion » (autre étiquette accolée par la Banque Mondiale) a crée 36 millions de sans emploi. Dans une usine que j’ai visitée et qui fabriquait des articles pour ces marques célèbres, les jeunes femmes travaillent en batterie dans des températures qui peuvent atteindre 40 degrés. La plupart n’ont pas leur mot à dire quant aux horaires, y compris pour la fameuse « équipe prolongée » - 36 heures d’affilée sans rentrer chez soi.
Éparpillés autour de ces usines, tels des débris après la tempête, on trouve les camps de travail : des communautés hobbesiennes qui vivent dans de longs dortoirs faits de bric et de broc. Comme la majorité de l’humanité qui n’est pas concernée par les plaisirs de McDonalds ou de Starbucks, de l’Internet ou des téléphones portables et qui est sous-alimentée, ce sont les ignorés de la globalisation. Ils vivent au milieu d’égouts à ciel ouvert qui débordent et beaucoup dépensent jusqu’à la moitié de leur salaire pour avoir de l’eau potable. Leurs maisons sont traversées par des canaux puants creusés par les anciens maîtres coloniaux, les Hollandais, lors de la tentative habituelle et vaine de recréer l’Europe en Asie. Le résultat est un désastre urbain et environnemental où les moustiques pullulent en apportant leurs lots de maladies. Aujourd’hui, il s’agit d’une forme virulente de fièvre dengue. Après plusieurs visites, j’ai été piqué et il m’a fallu deux mois pour m’en remettre. Pour les enfants sous-alimentés des camps, la dengue est généralement synonyme de mort. C’est la maladie de la globalisation, que les moustiques ont colporté au fur et à mesure que les camps s’étendaient et que les ateliers émigraient des zones rurales ruinées principalement par la Banque Mondiale qui promouvait les cultures d’exportation au dépens d’une agriculture d’auto-subsistance.
J’arrivais tout juste à me faufiler dans un passage étroit. Il était rempli de vêtements accrochés et protégés par du plastique, comme dans le fond d’une boutique de nettoyage à sec. Le propreté et l’ordre qui règnent ici sont étonnants. Les gens vivent dans des pièces qui ressemblent à des cellules, généralement sans fenêtres ni ventilation, où repas et sommeils s’enchaînent au rythme des horaires de travail dans les usines. Pendant la mousson, les canaux débordent et provoquent des inondations, et du coup encore plus de plastique fait son apparition pour protéger les biens : un lecteur de bandes magnétiques, des affiches des Spice Girls et de Che Guevara. J’ai failli trébucher sur une poêle brulante. Il y a des feux de paraffine à ciel ouvert et les enfants jouent à proximité. J’ai observé une famille de cinq perchée sur un petit coin de verdure qui regardait le coucher du soleil à travers une brume de pollution jaunâtre tandis que de petits chauve-souris tournoyaient dans la distance où se dessinaient les silhouettes de gratte-ciels inachevés. Voilà un entraperçu apocalyptique du monde « globalisé » qui - d’après Blair et Bush - est irréversible.
Un "code de déontologie" publié par la société américaine Gap indique : « les dortoirs (doivent) respecter toutes les lois et réglementations relatives à la santé et à la sécurité, y compris de protection contre les risques d’incendies, les accidents et la conformité des installations électriques, mécaniques et des structures. » Mais parce que ces dortoirs sont situés à l’extérieur des usines, Gap et ses sous-traitants ne sont pas responsables. Les clients qui déambulent dans un des nombreux magasins Gap devraient réfléchir à cette non-responsabilité lorsqu’ils achètent une chemise fabriquée par des gens qui touchent un salaire qui ne leur permettrait même pas de s’offrir les boutons, encore moins un lieu de vie décent.
A quinze kilomètres des camps, au bord de la route à péage qui appartient à la fille de Suharto, se trouve le centre de Jakarta. Là se trouve la vitrine officielle et approuvée de « l’élève modèle » de la globalisation. Là on peut trouver McDonalds avec des enfants potelés assis sur les genoux de Ronald, le clown, et des galeries marchandes qui proposent des vestes en cuir Versace à £2.000 et une salle d’exposition de voitures Jaguar. Un des hôtels les plus chics est le Shangri-la. On y célèbre chaque semaine quatre mariages. Au mois de décembre dernier s’est tenu une réception qui a coûté $120.000. Elle s’est tenue dans le grand salon, qui est une réplique du celui du Waldorf Astoria à New York, complète avec chandeliers et arches de feuilles dorées. Les invités portaient de l’Armani, du Versace, de véritables diamants et déposaient de gros chèques dans une grande boite. Il y avait un gâteau de huit étages avec les initiales de mariés. Des photos de leurs vacances autour de monde étaient projetés sur un écran de cinéma. Parmi les invités, on trouvait les partisans de Suharto déchu et le premier représentant de la Banque Mondiale en Indonésie, Mark Baird, un néo-zélandais, qui a paru troublé lorsque je lui ai demandé s’il s’amusait. La Banque Mondiale a dit que sa mission en Indonésie consistait à « lutter contre la pauvreté » et à « aider les pauvres ». C’est la banque qui a prêté les $86.000.000 pour construire le Shangri-la qui, peu après la réception à laquelle assistait Baird, a licencié la plupart des employés qui s’étaient mis en grève pour des salaires décents.
Le centre de Jakarta est occupé en majorité par des bâtiments des banques, dont beaucoup sont vides, et d’immeubles inachevés. Avant 1997, la ville comptait la plus forte concentration de banques au monde, mais la moitié avaient fait faillite après l’effondrement, sous le poids de sa propre corruption, de cette économie « dynamique ». Au cours des 30 années de dictature de Suharto, le capital « global » a afflué en Indonésie. La Banque Mondiale a royalement accordé plus de 30 milliards de dollars de prêts. Une partie de la somme est allée vers des programmes censés, comme l’éducation, et des milliards sont partis ailleurs – 630 millions de dollars sont partis dans le programme de « transmigration » de Suharto visant à coloniser l’archipel. Des immigrés de toute l’Indonésie furent envoyés pour occuper le Timor Oriental où ils contrôlaient l’économie. Le récent bain de sang a Kalimantan (Borneo) était dirigé contre les immigrés de l’île de Madura qui avaient été importés pour « développer » le territoire. En août 1997, un rapport interne de la Banque Mondiale, rédigé à Jakarta, confirmait que l’un des plus grands scandales de l’histoire du « développement » était probablement le fait qu’ « au moins 20 à 30 % des prêts de la Banque sont détournés vers les poches d’employés du gouvernement et de politiciens  ».
Il ne se passait pratiquement pas un mois sans qu’un politicien occidental ne félicite Suharto pour la « stabilité » du quatrième pays le plus peuple au monde. Les politiciens britanniques étaient particulièrement actifs, à commencer par le ministre des affaires étrangères de Harold Wilson, Michael Stewart, qui en 1966 louait la « politique économique censée » du dictateur. Margeret Thatcher qualifia Suharto de « un de nos meilleurs et plus chers amis ». Le ministre des affaires étrangères de John Major, Douglas Hurd, vantait les « valeurs asiatiques » de Suharto (un terme codé pour désigner l’absence de démocratie et les violations des droits de l’homme). En 1997, Robin Crook, lors que son premier voyage officiel à l’étranger, est passé par l’Indonésie pour une poignée de main chaleureuse – si chaleureuse que le ministère des affaires étrangères a bizarrement choisi une photo couleur des deux en train de se serrer la main pour illustrer son rapport sur les droits de l’homme dans le monde.
Tout le monde savait bien sûr. Amnesty International remplissait les dossiers de preuves contre Suharto. Milosevic et Saddam Hussein étaient des amateurs en comparaison. Peu avant l’arrivée de Cook, une enquête détaillée de la Commission des Affaires Etrangères du parlement Australien avait conclu que les troupes de Suharto avaient tué « au moins » 200.000 habitants au Timor Oriental, soit un tiers de la population. Au cours de la première année au pouvoir du Parti Travailliste (le « Parti Socialiste » britannique – NdT), la Grande-Bretagne était le premier fournisseur d’armes à l’Indonésie.
Ce qui est logique car la vente d’armes est un des grands succès de la globalisation et l’Indonésie, l’élève modèle, a joué un rôle important. Lorsque « l’économie globale » (càd le Capitalisme débridé) s’est emparée de la Grande-Bretagne au début des années 80, Margaret Thatcher a entrepris de démanteler le tissu industriel britannique, tout en relançant l’industrie de l’armement qui est devenu l’un des premiers au monde, devancé uniquement par les Etats-Unis. Ceci fût réalisé grâce à des subventions cachées, celles qui sapent et sabotent le « marché libre » en occident. Près de la moitié de toutes les subventions de recherche et de développement était accordée à la « défense » et le département de garantie des crédits à l’exportation du Ministère de Commerce et de l’Industrie offrait des « prêts avantageux » aux régimes du tiers monde qui cherchaient à s’offrir quelques sabres hi-tech à brandir. Le fait que nombre de ces régimes violaient allégrement les droits de l’homme où connaissaient des conflits internes où étaient au bord d’une guerre avec un pays voisin ne constituait pas un frein. L’Indonésie était un des grands bénéficiaires de ces largesses. Au cours de ces 12 mois, près de 1 milliard de livres sterling de subventions ont financé la vente de bombardiers Hawk à l’Indonésie. C’est le contribuable britannique qui a déboursé, mais ce sont les marchands d’armes qui ont récolté les profits. Les bombardiers Hawk sont employés à bombarder les villages dans les montages du Timor Oriental – et le Ministère des Affaires Etrangères a menti pendant quatre ans avant de l’avouer. Depuis, les Hawks ont bombardé les habitants de la Papouasie occidentale qui luttent pour leur liberté.
Je suis allé dans la région de Krawang sur l’île de Java, où j’ai rencontré un cultivateur de riz nommé Sarkom. On peut dire que Sarkom est représentatif des 80% de l’humanité qui vivent de l’agriculture. Il ne fait pas partie des plus pauvres, il vit avec sa femme et leurs trois filles dans une petite maison de bambou au sol carrelé. Sous le haut-vent, on trouve un lit de bambou, une chaise et une table où sa femme, Cucuk, arrondit les fins de mois avec des travaux de couture. L’année dernière, le Fonds Monétaire International a offert au gouvernement post-Suharto un « plan de sauvetage » sous forme de prêts de plusieurs millions de dollars. Les conditions d’octroi du prêt précisaient la suppression des droits de douane sur les aliments de base. «  Le commerce de toutes les qualités de riz a été ouvert aux importateurs et exportateurs » a décrété le FMI dans une lettre. Les fertilisants et les pesticides ont perdu aussi leurs 70% de subventions. Pour des fermiers comme Sarkom, cela signifie probablement la faillite et leurs enfants devront aller chercher du travail en ville. De plus, cela donne le feu vert aux multinationales céréalières géantes américaines pour entrer dans le pays.
Le deux-poids deux-mesures appliqué est époustouflant. L’agrobusiness en Occident, particulièrement aux Etats-Unis et en Europe, a été capable de produire les fameux surplus et de développer ses capacités d’exportation uniquement grâce aux barrières douanières et aux subventions locales massives. Le résultat fut une augmentation brutale de la mainmise de l’occident sur les aliments de base de toute la panète. Le patron de Cargill Corporation, qui domine le commerce mondial des céréales, s’est vanté un jour, « lorsque nous nous levons de table chaque matin après le petit-déjeuner, une grande partie de ce que nous avons consommé – céréales, pain, café, sucre et ainsi de suite – est passée entre les mains de ma société. » L’objectif de Cargill est de doubler de taille tous cinq ou sept ans. C’est ce qu’on appelle « le marché libre ». « J’ai passé 14 ans en prison pour tenter de l’empêcher, » dit Sarkom. « Tous mes amis, ceux qui n’ont pas été assassinés, sont allés en prison pour empêcher la prise de pouvoir du grand capital. Peu importe comment on l’appelle aujourd’hui – le truc global ou le machin mondial. Ce sont les mêmes forces, qui représentent la même menace pour nos vies. »
Cette remarque fait référence à un chapitre de l’histoire de l’Indonésie que les politiciens et hommes d’affaires occidentaux préféraient oublier, même s’ils ont été parmi les principaux bénéficiaires. Sarkom faisait partie des dizaines de milliers d’emprisonnés après le coup d’état du général Suharto en 1965-1966 - « l’année de tous les dangers » – qui a renversé le président nationaliste Sukarno qui dirigeait le pays depuis la fin de la colonisation hollandaise. Les chercheurs estiment à présent que jusqu’à 1 million de personnes ont été tués lors du pogrom qui a suivi le coup d’état qui visait principalement le Parti Communiste d’Indonésie, le PKI. Sarkom avait 19 ans lorsqu’ils l’ont emmené. Aujourd’hui il essaie de rédiger ses mémoires dans un cahier d’écolier pour raconter les horreurs vécues. Il a vécu de nombreuses années sur l’île de Buru, où des milliers de prisonniers ont été tout simplement déposés, sans logement, sans nourriture et sans eau. Le jour où je suis allé le voir, il avait rassemblé un groupe d’amis pour me rencontrer, des hommes de 60, 70 ans, qui eux aussi étaient des « tapols » - des prisonniers politiques relâchés après la chute de Suharto en 1998. Il y avait deux enseignants, un fonctionnaire, un membre du parlement. Un avait été emprisonné pour avoir refusé de voter pour le parti de Suharto, le Golkar. Plusieurs étaient membres du PKI. Adon Sutrisna, enseignant, m’a dit, « Nous sommes le peuple, la nation, que le monde a oublié. Si vous connaissiez la vérité sur ce qui s’est passé en Indonésie, vous comprendriez parfaitement vers quoi on nous entraîne aujourd’hui. »
A quelques kilomètres de la ferme de Sarkom se trouve une butte de terre recouverte de fleurs. C’est une fosse commune, mais rien ne signale sa présence – 35 ans après le massacre, les familles des victimes – estimées à une dizaine - ont encore trop peur pour oser ériger une pierre tombale. Mais dans l’ère post-Suharto, de nombreux Indonésiens commencent lentement à se débarrasser de la peur qui a marqué tout une génération et à travers tout le pays les familles commencent à exhumer les restes de leurs proches. Quelques silhouettes furtives la nuit, entraperçues au bord d’une rivière ou d’une rizière. Les témoins les plus âgés se souviennent des « rivières charriant des cadavres, comme des troncs d’arbres ». D’un village à l’autre, de jeunes hommes furent massacrés sans raison et leurs meurtres signalés par des rangées de pénis tranchés.
J’ai un ami à Jakarta qui s’appelle Roy. Certains l’appellent Daniel. Ce ne sont que deux des pseudonymes qui lui ont permis de rester en vie depuis 1965. Il fait partie d’un groupe remarquable de révolutionnaires qui sont entrés dans la clandestinité pendant la longue répression de Suharto – les années où la Banque Mondiale chaperonnait son « élève modèle » - et qui émergeait dans des moments critiques pour diriger un mouvement d’opposition clandestin. Il a été arrêté et torturé à plusieurs reprises. « J’ai survécu parce qu’ils n’ont jamais su que c’était moi, » dit il. « Une fois, un tortionnaire m’a hurlé dessus « dis nous où se trouve Daniel ! » ». En 1998, il a organisé les manifestations de rues des étudiants courageux qui ont ses sont confrontés aux véhicules anti-émeutes fournis par la Grande-Bretagne, et qui ont joué un rôle clé dans la chute finale du dictateur.
Roy m’a emmené à l’école où le cauchemar de Suharto a commencé pour lui. Tandis que nous nous asseyons dans une salle de classe vide, il se souvient de cette journée d’octobre 1965 lorsqu’il a vu un gang surgir et trainer le maître d’école dans la cour, où ils l’ont battu à mort. « C’était un homme merveilleux, gentil et bon, » a dit Roy. « Il chantait à la classe, et me faisait la lecture. C’était quelqu’un que je moi, en tant que garçon, je prenais pour un modèle... J’entends à présent ses hurlements, mais pendant des années tout ce dont je me souvenais était d’être sorti de la classe en courant et d’avoir couru, couru, dans les rues, sans m’arrêter. Lorsqu’on m’a retrouvé le soir, j’étais traumatisé. Je n’ai pas parlé pendant un an. »
Le maître d’école était soupçonné d’être un communiste, et son meurtre ce jour-là était caractéristique de l’exécution systématique des enseignants, des étudiants, des fonctionnaires, des paysans. « En termes de nombre de tués, » selon un rapport de la CIA, « le massacre constitue l’un des pires massacres de tout le 20ème siècle ». L’historien Gabriel Kolko a écrit que «  la « solution finale » au problème communiste en Indonésie constitue un crime comparable à celui commis pas les Nazis. » Selon le spécialiste de l’Asie, Peter Dale Scott, les politiciens, diplomates, journalistes et universitaires occidentaux, dont certains avaient des connexions directes avec les services de renseignement, ont propagé le mythe que Suharto et les militaires avaient sauvé le pays d’une tentative de coup d’état du Parti Communiste Indonésien, le PKI. Jusqu’à là, Sukarno avait compté sur les communistes pour contre-balancer l’influence de l’armée. Lorsque 6 généraux furent assassinés le 30 septembre 1965, Suharto a accusé le PKI. Depuis la chute du dictateur en 1998, des témoins ont parlé pour la première fois et des documents publiés suggèrent fortement que Suharto, qui contrôlait l’armée à Jakarta, a profité d’une lutte interne au sein de l’armée pour s’emparer du pouvoir.
Ce qui ne fait plus aucun doute par contre c’est la collaboration des gouvernements occidentaux et le rôle joué par les multinationales. En réalité, la globalisation en Asie est née dans ce bain de sang. Pour la Grande-Bretagne, l’objectif à l’époque était de protéger ses intérêts coloniaux en Malaisie, menacés par une « confrontation » avec un président Sukarno qualifié « d’instable ». Un document de 1964 du Ministère des Affaires Etrangères demandait la « défense » des intérêts occidentaux en Asie du sud-est, « un producteur majeur de biens de consommations essentiels. La région produit près de 85% du caoutchouc mondial, plus de 45% du fer blanc, 65% du cuivre et 23% du chrome. » Sur l’Indonésie, Richard Nixon a écrit, « avec une population de 100 millions et 300 kms d’îles qui abritent les plus grandes ressources naturelles de la région, l’Indonésie est un morceau de choix dans l’Asie du Sud-est ».
L’ex-président Sukarno était à la fois un populiste et un nationaliste, et le fondateur de l’Indonésie moderne et du mouvement des pays non-alignés qui, espérait-il, allait tracer une véritable « troisième voie » entre les deux super-puissances. Il pouvait être démocrate et démagogue. Il encourageait les syndicats et les mouvements de femmes, culturels et de paysans. Entre 1959 et 1965, plus de 15 millions de personnes ont rejoint les partis politiques et les organisations de masse affiliées qui étaient encouragées à défier l’influence britannique et étasunienne dans la région. Avec 3 millions de membres, le PKI était le plus grand parti communiste au monde en dehors de l’Union Soviétique et de la Chine. Selon l’historien australien Harold Crouch, « le PKI bénéficiait d’un large soutien non pas en tant que parti révolutionnaire mais en tant qu’organisation qui défendait les intérêts des pauvres au sein du système. » C’était cette popularité, plus qu’un hypothétique soulèvement armé, qui faisait peur aux Américains. L’Indonésie, comme le Vietnam au nord, pouvait « tomber entre les mains du communisme ».
En 1990, la journaliste d’investigation étasunienne Kathy Kadane a révélé l’existence d’une participation secrète des Etats-Unis au massacre de 1965/66 qui renversa Sukarno et mit au pouvoir Suharto qui à l’époque était peu connu en dehors des cercles d’initiés des services secrets. Dans une série d’interviews d’anciens officiels étasuniens, elle conclut : « Ils fichaient les militants communistes. Jusqu’à 5.000 noms ont été remis à l’armée indonésienne, et les Américains ensuite rayaient de la liste les noms de ceux qui avaient été tués ou capturés ».
En 1966, l’ambassadeur US à Jakarta a rassuré Suharto que «  les Etats-Unis voient plutôt d’un bon œil et admirent ce que l’armée est en train de faire. » L’ambassadeur britannique, Sir Andrew Gilchrist, a rapporté au Ministère des Affaires Etrangères britanniques : « Je n’a jamais caché que je pense que quelques pelotons d’exécution en Indonésie seraient un préliminaire indispensable à tout changement réel. » Après avoir armé et équipé une bonne partie de l’Armée, Washington a ensuite secrètement fourni une assistance en matière de communications aux troupes de Suharto. L’équipement était acheminé de nuit dans des avions de l’armée de l’Air US depuis les Philippines et constituait le nec plus ultra en matière de communications et la CIA et la NSA connaissaient les fréquences. Cette technologie a non seulement permis aux généraux de Suharto de coordonner les tueries mais signifie aussi que les plus hauts échelons de l’administration US étaient à l’écoute. Suharto a réussi à isoler de larges zones du pays. On connait des films d’archives qui montrent des gens se faire embarquer dans des camions et être emportés, mais c’est tout. A ma connaissance, la photo floue publiée ici est la seule image d’archive disponible de cet holocauste indonésien.
Il serait utile aux journalistes d’aujourd’hui de comprendre l’importance du rôle joué par la propagande occidentale hier comme aujourd’hui. Les services de renseignement britanniques ont manipulé la presse avec tant de doigté que Norman Reddaway, chef du Département de Recherche et d’Information du ministère des affaires étrangères, s’est vanté auprès de l’ambassadeur Gilchrist, dans une lettre marquée « secrète et personnelle », que la manipulation que lui et ses collègues avaient réussi à orchestrer - que le pouvoir de Sukarno aboutirait à une prise de pouvoir des communistes - « avait fait le tour du monde ». Il raconte comment un journaliste chevronné d’un grand journal britannique a accepté de « donner votre version des faits dans son article... à savoir, qu’il s’agissait d’un coup d’état de velours, sans boucherie. » Roland Challis, qui était le correspondant de la BBC pour l’Asie du Sud-est, pense que la couverture des massacres a été un triomphe de la propagande occidentale. « Mes sources britanniques ont prétendu ne pas savoir ce qui se passait, » m’a-t-il dit, « mais ils connaissaient le plan américain. Il y avait des cadavres qui échouaient sur les pelouses du consulat britannique à Surabayo, et des navires de guerre britanniques ont escorté un bateau rempli de soldats indonésiens à travers le détroit de Malacca, pour aller participer à ce terrible holocauste. Ce n’est que beaucoup plus tard que nous avons appris que l’ambassade des Etats-Unis fournissaient des noms et les rayaient de la liste au fur et à mesure qu’ils étaient tués. Il y avait un accord, voyez-vous. L’instauration du régime de Suharto impliquait l’entrée en scène du FMI et de la Banque Mondiale. Sukarno les avait expulsés, Suharto devait les ramener. C’était l’accord.  »
Avec un Sukarno malade et impuissant et Suharto sur le point de s’autoproclamer président, la presse US a présenté le coup d’état non pas comme une tragédie humaine mais comme une série de nouvelles opportunités économiques. La prise de pouvoir par les militaires, malgré les massacres, fut décrit par le magazine Time comme « la meilleure nouvelle en Asie pour l’Occident  ». Un titre du magazine US News & World Report disait « Indonésie : de l’Espoir, là où il n’y en avait plus.  » Le célèbre commentateur du New York Times James Reston a quant à lui célébré l’émergence d’une « lueur en Asie » et signé un article qu’on avait manifestement écrit pour lui. Le premier ministre australien, Harold Holt, en visite aux Etats-Unis, a fourni un bel exemple de son sens de l’humour. « Avec 500.000 à 1 million de sympathisants communistes éliminés, » a - t-il dit, « je pense qu’on peut dire qu’une réorientation s’est produite. »
Ralph McGehee, un officier supérieur de la CIA à l’époque, que j’ai interviewé pour la première fois il y a presque 20 ans, a décrit le renversement de Sukarno en Indonésie comme une « opération modèle » pour le coup d’état qui devait renverser Salvador Allende au Chili sept ans plus tard. « la CIA a fabriqué un document qui était censé prouver un complot gauchiste visant à assassiner des chefs militaires chiliens, » écrit-il, « comme en Indonésie en 1965. » Il dit que les massacres en Indonésie constituaient aussi un modèle pour l’Opération Phénix au Vietnam, où les escadrons de la mort dirigés par les Etats-Unis ont assassiné prés de 50.000 personnes.
En novembre 1967, après la capture du « morceau de choix », le pillage fut organisé. La société Time-Life Corporation a organisé une conférence extraordinaire à Genève qui, en l’espace d’une semaine, a procédé au partage de l’Indonésie. A la conférence se trouvaient les hommes d’affaires les plus importants au monde, comme David Rockefeller, et tous les géants du capitalisme occidental étaient représentés. On y trouvait les grandes compagnies pétrolières et les banques, General Motors, Imperial Chemical Industries, British Leyland, British-American Tobacco, American Express, Siemens, Goodyear, the International Paper Corporation, US Steel.
De l’autre côté de la table se trouvaient les hommes de Suharto, que Rockefeller appelait « la meilleure équipe d’économistes de l’Indonésie ». Plusieurs étaient des économistes formés à l’Université de la Californie à Berkley. Tous ont chanté la partition qu’on leur tendait et vanté les avantages de leur pays et de son peuple : « Abondance de main d’oeuvre bon marché... une mine de ressources naturelles... un marché captif. »
J’ai récemment demandé à l’un d’entre eux, le Dr. Emile Salim, si quelqu’un à la conférence avait mentionné qu’un million de personnes avaient été tuées pour instaurer un pouvoir favorable aux affaires. « Non, ce n’était pas à l’ordre du jour », a-t-il répondu. « Je n’étais pas au courant à l’époque, je ne l’ai appris que plus tard. Rappelez-vous, nous n’avions pas la télévision et les téléphones ne marchaient pas très bien. »
A cette conférence, l ’économie indonésienne fût dépecée, secteur par secteur. Dans une salle, on dépeçait les forêts, dans une autre, les minerais. La société Freeport Company s’est vu accorder une montagne de cuivre en Papouasie occidentale (Henri Kissinger siège au Conseil d’administration). Un consortium américano-européen a eu le nickel de la Papouasie occidentale. Le géant Alcoa a eu la plus grosse tranche de bauxite indonésienne. Un groupe d’Etasuniens, de Japonais et de Français ont eu les forêts tropicaux de Sumatra, Papouasie occidentale et Kalimantan
Une loi sur les investissements étrangers, hâtivement votée après le coup d’état, a dispensé le pillage de tout impôt pendant au moins cinq ans. Le contrôle réel, et secret, de l’économie du pays a été transféré au FMI et à la Banque Mondiale à travers le Inter-Governmental Group on Indonesia (IGGI), dont les principaux membres étaient les Etats-Unis, le Canada, l’Europe et l’Australie. Sous Sukarno, l’Indonésie n’avait que peu de dettes. Après, les très gros prêts ont déboulé, souvent pour atterrir directement dans les poches, tandis que le « morceau de choix » se voyait piller de ses ressources. Peu avant le crash financier asiatique de 1997, les parrains du IGGI ont félicité leur tueur en série préféré pour avoir crée « une économie miracle ».
John Pilger


http://www.inminds.co.uk/globalisation-in-indonesia.html
Traduction « toute ressemblance avec des personnages, situations, pays, existants ou ayant existé... » par VD avec probablement les fautes et coquilles habituelles.
URL de cet article 14773
http://www.legrandsoir.info/globalisation-en-indonesie-le-pillage-apres-le-massacre.html