Honteux mensonges d’un putschiste au crépuscule de sa vie !
Khaled Nezzar face à la justice Suisse : Le P-V d’audition
El Watan le 24.10.11
Durant deux jours, les 20 et 21 octobre passés, l’ancien
ministre de la Défense (1991à 1993), Khaled Nezzar, a été auditionné
par la procureure fédérale suisse, Laurence Boillat, suite à une
plainte déposée contre lui pour «suspicion de crimes de guerre».
L’audition a porté principalement sur le rôle du général à la retraite,
sur le rôle de l’armée dans la gestion de la décennie noire et la
lutte antiterroriste. Des questions également sur le départ de Chadli
Bendjedid et le rôle du Haut-Comité d’Etat (HCE). El Watan publie,
aujourd’hui et demain, l’intégralité du procès-verbal de l’audition.
Genève, Hôtel de police, jeudi 20 octobre 2011,
Se présente, amené par la Police judiciaire fédérale (PJF) sur mandat
d’amener du 19 octobre 2011 du ministère public de la Confédération
(MPC),
en qualité de prévenu : Khaled Nezzar.
En présence de :
- Laurence Boillat, procureure fédérale suppléante, direction de la procédure
- Ludovic Schmied, procureur fédéral assistant
- Caterina Antognini, stagiaire-juriste, rédaction du procès-verbal
- Me Magali Buser, avocate à Genève, défenseur d’office
- Me Anthony Howald, avocat-stagiaire auprès de Me Szalai.
Vous avez le droit de faire appel à un défenseur ou de demander un
défenseur d’office (art. 158 al. 1 let. c CPP). En vertu de l’art. 130
Iit b, vous avez l’obligation d’être assisté d’un défenseur dans le
cadre de la présente procédure.
Note : sur demande du MPC, le prévenu a indiqué à la PJF au moment de
son interpellation, qu’il ne connaissait pas d’avocat et qu’il s’en
remettait au choix de la direction de la procédure. Le MPC a pris
contact avec la permanence des avocats genevois à 9h35. Me Buser,
avocate à Genève, désignée d’office, s’est entretenue avec son client
avant l’audition, soit de 10h30 à 10h45.
Avez-vous besoin d’une traduction (art. 158 al. 1 let d CPP)?
Non.
Information sur vos droits
Vous êtes entendu en qualité de prévenu (art. 157ss CPP) dans le cadre
d’une instruction ouverte à votre encontre par le ministère public de la
Confédération, en date du 19.10.2011, pour un soupçon de crimes de
guerre (art. 264b ss CP 1 art. 108 et 109 aCPM) commis en Algérie durant
le conflit armé interne de 1992 à 1999.
Vous avez le droit de refuser de déposer et de collaborer (art. 158 al.
1 let. b CPP). Si vous déposez, vos déclarations peuvent être utilisées
comme moyen de preuve. Vous êtes rendu attentif aux conséquences
pénales d’une dénonciation calomnieuse (art. 303 CP) si vous dénoncez
comme auteur d’un crime ou d’un délit une personne que vous savez
innocente, d’une induction de la justice en erreur (art. 304 CP) et de
la soustraction d’une personne à une poursuite pénale (art. 305 CP).
Avez-vous compris cette notification ?
Oui.
Avant de commencer, ëtes-vous d’accord de faire des déclarations ?
Oui, je suis tout à fait d’accord.
-1. Que signifie le passeport diplomatique algérien n°0015201 trouvé en votre possession ?
C’est un passeport qui permet de voyager n’importe où dans le monde
sans avoir à demander de visa et qui ne donne pas le droit à l’immunité
parlementaire. J’ai le droit de recevoir des autorités algériennes un
tel passeport pour voyager.
Note : je vous informe que, contrôle fait auprès du Département fédéral
des Affaires étrangères (DFAE), vous ne bénéficiez d’aucun statut
diplomatique ni accréditation en Suisse. Selon le DFAE, ce document ne
crée aucune immunité mais vous attribue seulement des privilèges en
matiére de transport.
-2. Pour quel motif êtes-vous actuellement présent en Suisse ?
Je suis en Suisse pour voir mon psychothérapeute, le docteur Bourgeois, pour arrêter la cigarette.
Note : je vous informe que, selon les explications du DFAE, vous ne
bénéficiez en Suisse d’aucun privilège ni immunité dès lors que vous
étiez ici à titre privé.
-3. Que pouvez-vous dire au sujet du conflit qui a touché l’Algérie durant les années 1992 à 1999 ?
D’abord j’aimerais savoir pourquoi je suis poursuivi puisque la
Convention de 1984 dit textuellement que, en cas de crime de guerre, si
quelqu’un n’a pas été poursuivi chez lui, il ne peut pas être poursuivi
dans un état étranger.
Note : la procureure fédérale suppléante explique que selon la loi
suisse, nous avons la possibilité de poursuivre quelqu’un pour crime de
guerre, peu importe l’endroit où à été commise l’infraction.
Je ne suis pas concerné par ce conflit. Pourquoi vous me posez cette
question ? Je ne suis pas celui qui a déclenché ce conflit. J’étais
ministre de la Défense. Je dois savoir qu’est-ce qu’on me reproche. Des
«suspicions», c’est un terme bien trop vague. Moi je n’ai pas les mains
sales. Est-ce qu’il y a des plaintes à mon encontre ?
J’ai fait un procès à Paris en 2002 sauf erreur, suite à une attaque en
justice d’un élément du Front islamique du salut (FIS). Cette personne a
été poussée par les partisans de la politique du «qui tue qui ?»,
lesquels voulaient faire croire que c’étaient les différentes autorités
en fonction qui tuaient les civils.
-4. Pour quelle raison ce conflit a-t-il été surnommé « la sale guerre» ?
Toute guerre civile est une sale guerre. Il y a des dépassements
partout, c’est sûr. Beaucoup de civils sont morts pour rien. Cette
guerre s’est déclenchée car le FIS à l’époque voulait le pouvoir, quitte
à utiliser la violence. Il y·a eu un premier tour d’élections où le
FIS, arrivé avec 26% des suffrages, a eu la majorité des sièges. Suite à
cela, il y a eu la démission du Président. S’est posé le problème de
savoir s’il fallait laisser le processus électoral continuer, auquel cas
le pays serait allé vers la catastrophe, ou s’il fallait intervenir.
Il y a eu arrêt du processus électoral de la part du Conseil de
sécurité national ; c’était pour nous une réponse politique, alors que
le FIS s’est lancé dans une guerre civile. Il y avait des attentats,
c’était le chaos total. La violence a commencé avant, le FIS voulait la
majorité alors qu’il n’avait eu que 21% des voix. C’était début 1992.
Il y avait de la violence quotidienne, des menaces ; les gens
invoquaient la charia en tant que Constitution. Le FIS voulait changer
la manière de se nourrir et de se vêtir. Le FIS était en fait un parti
totalitaire qui voulait gouverner par la loi islamique.
-5. Quelles étaient vos fonctions en Algérie avant 1992 ?
J’ai été commandant des forces terrestres en 1988, sauf erreur, sous la
présidence de Chadli Bendjedid et, à ce titre, adjoint du chef
d’état-major. Je suis passé chef d’état-major de l’armée en 1991,
toujours sauf erreur. J’ai fait toute ma carrière militaire en Algérie.
J’étais officier de l’armée française, j’ai déserté l’armée française
pendant la guerre d’Algérie en rejoignant les maquis.
Ensuite j’ai été ministre de la Défense vers fin 1991 début 1992. Je ne suis pas resté longtemps à ce poste, environ un an.
Sur question, je ne pense pas avoir été nommé ministre de la Défense le
27 juillet 1990, comme vous l’indiquez. J’ai été ministre jusqu’en 1993
et, à ce titre, membre du Haut-Comité d’Etat (HCE). Comme vous me
l’indiquez, il est exact que j’ai quitté ma fonction de ministre et le
HCE le 10 juillet 1993.
-6. Quelle était votre opinion au sujet du Front islamique du salut (FIS) ?
C’était un parti totalitaire qui prônait une loi que j’abhorrais. Je ne
suis pas un éradicateur. Je ne partageais pas leurs opinions et leur
manière de voir les choses, leur façon d’associer l’Islam à la
politique. Sur question, je n’étais pas un militant politique, si ce
n’est qu’avant 1989 j’étais membre du FLN, parce que nous étions encore
sous le régime révolutionnaire. Lorsqu’il y a eu la Constitution de
1989, qui prônait le multipartisme, l’armée s’est retirée du FLN. Dès ce
moment, je n’étais plus catalogué politiquement, mais en tant que
citoyen algérien je n’appréciais pas la manière de voir du FIS.
-7. De quelle manière avez-vous participé au coup d’Etat du 11 janvier 1992 ?
Je ne suis pas d’accord de l’appeler «coup d’Etat». Chadli Bendjedid
déclare encore aujourd’hui qu’il a démissionné. Personne ne l’a poussé à
démissionner. J’étais ministre de la Défense, pourquoi l’aurais-je
poussé à démissionner ? Je n’ai jamais revendiqué le coup d’Etat, ainsi
que vous semblez l’avoir lu dans des sources ouvertes. J’étais parmi
ceux qui prônaient l’arrêt du processus électoral, c’est vrai, ceci dans
l’intérêt de mon pays, mais je n’ai rien à voir avec la démission de
Chadli Bendjedid. D’ailleurs, si on avait arrêté Hitler à l’époque, on
n’aurait jamais vécu tout ce qu’a vécu l’Europe depuis.
-8. Quelles étaient vos fonctions en Algérie pendant le conflit, soit durant la période de 1992 à 1999 ?
A cette période j’étais ministre de la Défense et membre du HCE
jusqu’en juillet 1993. Sur question, je n’ai pas exercé d’autres
fonctions. A cette période il y avait une présidence collégiale. Mohamed
Boudiaf a été président du HCE. Sur question, je n’ai jamais été
président du HCE.
Sur question, je précise que le comité était composé de différentes
personnalités de la Révolution (des anciens du FLN), qui n’avaient pas
de fonctions étatiques, sauf moi qui étais ministre de la Défense. Le
Comité était composé de cinq personnes avec le Président. Ces personnes
avaient été choisies par le Conseil de sécurité (chef du gouvernement,
ministre de la Défense, ministre de la Justice, ministre de
l’Intérieur, président du Conseil constitutionnel, sauf erreur).
Sur question, je précise que le Comité pouvait gouverner le pays.
C’était une direction collégiale. Il s’agissait d’une période où il n’y
avait plus d’institution.
Sur question, ce Comité a été en fonction pendant deux ans, soit depuis
début 1992 jusqu’à fin 1993, moment où le nouveau président a été élu.
Sur question, je confirme que pendant deux ans j’ai fait partie, avec
le Président et trois autres personnes, de la gouvernance collégiale qui
dirigeait le pays à cette époque. Je précise qu’il y avait un
gouvernement avec des ministres. Sur question, je précise que le
ministère de la Défense avait été choisi pour faire partie du HCE parce
que, dans des pays en voie de développement, l’armée est la seule
institution fiable, car structurée et organisée. L’armée avait son poids
dans tous les pays en voie de développement.
Sur question, je précise que le Comité prenait les décisions concernant
le pays et ensuite le gouvernement les exécutait. Les trois autres
membres du HCE, à part le Président et moi, étaient l’ancien recteur de
la Mosquée de Paris qui est décédé depuis, le docteur Haddam ; maître
Ali Haroun, ancien membre de la Fédération de France ; Ali Kafi,
responsable des anciens combattants, ancien historicien de la
Révolution. Toutes ces personnes étaient des révolutionnaires. A cette
époque, la seule institution qui restait c’était l’armée. Chadli
Bendjedid qui, à ce moment, était Président et Ministre de la Défense,
venait de se désister de sa charge de Ministre de la Défense m’a nommé
au poste de Ministre de la Défense.
-9. Pouvez-vous m’expliquer quel type de décision a pu prendre le HCE ?
Toute décision qui servait à gouverner le pays, pour le quotidien du
pays, pour son avenir et les questions stratégiques. Je précise qu’il
n’y avatt pas de Parlement. Pour les communes, il y avait des suppléants
dans chaque localité ou ville importante. Ces représentants étaient
des représentants locaux, ils étaient le point de contact avec la
population. C’était comme des maires, on les appelait les DEC. Il n’y
avait pas de relation directe entre les DEC et le HCE. Ces représentants
remplaçaient les éléments du FIS dissous par une loi de justice.
Sur question, je précise que les autorités communales existaient. La
politique et la conduite du pays étaient dans les mains du HCE, il n’y
avait pas d’autre instance telle qu’une Assemblée. Le Comité était là
pour suppléer la Présidence. Le HCE est l’équivalent d’un chef d’Etat
d’un autre pays. Il y avait un Conseil de sécurité, la seule instance
qui n’existait pas était le Parlement. Il a fallu attendre la réélection
de l’Assemblée, ce qui a été fait deux ans après. Sur question, je
précise que les décisions pour le pays étaient discutées au niveau du
HCE et, comme dans n’importe quel autre pays, ces décisions ne sont pas
contestées. Seules les décisions du gouvernement sont discutées devant
le Parlement.
-10. Comment les décisions du HCE étaient-elles mises en œuvre Jusqu’aux instances politiques du bas de l’échelle?
Il y avait des rouages normaux. Bien que la situation était
particulière, il y avait des instances administratives, des
départements. Une décision du HCE passait au gouvernement qui lui-même
communiquait la décision au ministère concerné. Ensuite ce dernier
faisait passer ces décisions dans les départements et puis, au niveau
local, dans les communes. Dans les communes, il y avait des gens élus.
Toutes les places libérées par le FIS, qui a été dissous, ont été
remplacées par les DEC. Sur question, je précise qu’au niveau communal,
c’était le maire avec ses adjoints qui mettaient en œuvre les
décisions.
Je précise que la seule particularité du système était qu’il fallait
suppléer au Président qui avait démissionné. La solution d’une
présidence collégiale a été préférée à un Président unique.
-11. Quelle était le rôle de l’armée dans le régime politique de 1992 à 1993 ?
Dans une situation de subversion, l’armée a été appelée par le HCE,
comme les autres services de sécurité, à participer à la
contre-subversion, soit à la lutte antiterroriste.
Sur question, l’armée m’était hiérarchiquement subordonnée.
L’engagement de l’armée était décidé au niveau du HCE. Il a été décidé
de créer des camps d’éloignement sous tutelle de la justice, dont
certains étaient gérés par l’armée. Il devait y avoir quatre ou cinq
camps. Pendant une période, ces gens étaient éloignés parce qu’ils
créaient de l’insécurité. Les services de sécurité ou les enquêtes
judiciaires déterminaient qui devait être éloigné. L’armée dans certains
cas a été appelée à la rescousse, sinon ce n’est pas un service de
police. Elle apportait son aide. Les gens mis dans les camps étaient
arrêtés dans les rues. C’était la justice qui décidait systématiquement
qui devait être placé en détention. Il s’agissait d’une justice
nationale. Les juges dépendaient de tribunaux nationaux de première
instance.
Sur question, je précise que certains ont été libérés, il y a eu des
recours. Je ne peux pas vous dire pendant combien de temps ces gens
étaient éloignés. C’était très difficile de se référer à des normes
strictes dans une situation catastrophique comme celle qu’on était en
train de vivre. Je n’aurais jamais pensé que les Algériens pouvaient
attaquer d’autres Algériens et aller jusqu’où ils sont allés. Ce n’est
pas une simple guerre civile. La conviction religieuse était à l’origine
de tout ça, ces événements néfastes.
Sur question, je réponds qu’à la base de l’éloignement il y avait les
lois en vigueur. C’était le tribunal qui décidait le temps
d’éloignement. Je ne connais pas les lois. Je ne connais que les lois
militaires. Lorsqu’en face de vous vous avez quelqu’un qui est armé,
vous répondez de la même façon ! Il y a toujours des dépassements et
c’est très difficile de les régler. C’était au-deçà des autorités. J’ai
entendu des cas de dépassements. Sur question, je précise qu’un
dépassement pouvait aller jusqu’à donner la mort. Que voulez-vous, quand
des hommes arrivent dans un village où il y a eu une attaque, ils y
trouvent des femmes éventrées, des bébés fracassés contre les murs, des
cadavres démembrés, il arrive donc parfois qu’une personne réagisse
mal.
Ce n’était pas quelque chose de généralisé. Ce sont des cas qui nous
ont été signalés et qui remontaient parfois jusqu’au ministère. On
remettait l’auteur entre les mains de la gendarmerie. Pour vous donner
un exemple, un ancien militaire ayant commis des dépassements est
seulement récemment sorti de prison. On peut comprendre ces
dépassements, mais il faut quand même prendre des mesures. On veut faire
croire que c’était les autorités qui étaient responsables. S’il y a eu
des dépassements de la part des autorités, ça ne pouvait être que des
dépassements d’individus isolés qui, une fois portés à la connaissance
de l’autorité, étaient sanctionnés.
Tous les autres carnages sont le fait d’éléments du FIS qui, eux, ne
sont pas sanctionnés. J’ajoute même qu’un de ces éléments se trouve en
Suisse, à savoir M. Aït Ahmed. J’ajoute que pendant la période
difficile (les années 1990) j’ai été agressé à l’aéroport de Genève par
un élément du FIS.
-12. Comment les décisions de l’état-major de l’armée étaient-elles mises en œuvre jusqu’au bas de l’échelle militaire ?
Il y avait des actions militaires de toute sorte, des opérations, des
manœuvres, des ratissages pour essayer de capturer les terroristes. Les
décisions prises au sein du HCE passaient par le ministère de la
Défense, puis par le chef d’état-major, qui à cette époque était Mohamed
Lamari. C’était la voie normale. En dessous du chef, il y avait des
commandements régionaux. Il y avait des états-majors opérationnels,
responsables de monter des opérations dans une région, par exemple lors
de signalements de terroristes. Un chef d’état-major opérationnel
n’était pas une fonction fixe. Les petits états-majors opérationnels
étaient crées en fonction des besoins. Ils étaient dirigés par un
militaire du rang de colonel, en général. Ça pouvait aussi être un
général. Une fois que l’état-major opérationnel avait défini la mission,
cette dernière était attribuée aux unités de terrain (régiment,
bataillon), placées sous le commandement de leur propre chef qui pouvait
être un chef de bataillon ou de régiment (lieutenant-colonel,
commandant). Ces derniers sont les exécutants des décisions prises par
l’état-major opérationnel.
-13. Comment expliquer que des personnes isolées, alors qu’elles
étaient placées sous un commandement, aient pu commettre des
dépassements ?
Je vais vous raconter une histoire. Il y avait un barrage sur la route.
La majorité du groupe de personnes a été tué. Le chef d’unité a pris
les gens blessés et les a amenés dans l’hôpital du village voisin. Mais
entre temps, il a vu une personne habillée avec un habit islamique en
train de rigoler. Il a pris cet homme et l’a abattu d’une rafale. Je le
répète, ce sont des cas très limités. Pour tous les cas portés à notre
connaissance, nous avons réagi.
Sur question, je précise qu’une unité ne peut pas avoir commis un
dépassement en groupe. L’armée est issue du peuple. Je ne comprends pas
comment les gens pouvaient être capables de faire ça. Je suis passé en
procès à Paris.
C’est moi qui ai voulu le procès. Je n’étais pas prévenu, c’était dans
le cadre de la plainte qui avait été déposée à mon encontre. J’ai écrit
un livre qui expliquait les événements. En raison de la Convention de
1984, le procureur français n’aurait pas dû accepter la plainte parce
que je n’étais pas poursuivi chez moi, mais il l’a tout de même fait. Il
y a des Algériens qui ont déposé plainte à mon encontre.
Sur question, je précise que j’ai porté plainte contre cette personne
pour aller au tribunal, afin d’expliquer au monde entier ce qui s’est
passé en Algérie. Nous étions parasités par les éléments du FIS et par
vous, les Européens. Je voulais seulement que les gens m’entendent. Le
procureur de la République a dit qu’il y avait deux visions des choses.
Je savais très bien que les autorités françaises n’allaient pas prendre
de décision politique. L’essentiel c’était de communiquer à la presse
ce qui s’est passé en Algérie.
M. Gez, auuteur du livre La Découverte, est responsable de tout ça. Il
s’est basé sur le «livre blanc» qui signalait les dépassements. Habib
Souaidia, s’inspirant du livre de Gez, a dit qu’un enfant avait été
brûlé par l’armée. Je déposé plainte contre lui et amené des témoins,
notamment le père de l’enfant en question, qui a témoigné que son fils
avait été tué par un islamiste qui lui avait interdit de vendre des
cigarettes et non par l’armée. Tous ces témoignages sont faux. Sur
question, je précise que les Français ne pouvaient pas trancher. Je veux
savoir qu’est-ce qu’on me reproche. Prenez votre décision pour me
poursuivre !
Note : la procureure fédérale suppléante explique que c’est justement pour décider de la suite de l’affaire qu’on est là.
-14. Pour quelle raison vous êtes-vous retiré de vos fonctions politiques en juillet 1993 ?
Une personne peut décider de son avenir ! Ce n’est pas mon métier
d’être ministre. Sur question, je précise que j’ai tout simplement
quitté ma carrière militaire. J’ai décidé de prendre ma retraite.
-15. Comment se fait-il que vous soyez resté membre du HCE après
juillet 1993, alors que vous aviez quitté votre fonction ministérielle ?
Ce n’est absolument pas vrai. J’ai continué comme général, je suis
encore resté quelque mois en fonction et puis je suis parti. Je suis
resté mais sans fonction et c’était, soi-disant, pour ma sécurité. Je
n’ai rien fait pendant cette période. Je précise que j’ai subi un
attentat fin 1992, début 1993. Il s’agissait d’une voiture piégée qui a
explosé au passage de ma voiture. Je n’ai pas été blessé, juste secoué.
Sur question, je précise que j’ai été visé en tant qu’homme d’Etat. Il
y a toujours des gens qui ne partagent pas nos opinions. L’auteur est
en vie et est maintenant libre. En effet, comme il y a eu la concorde
civile nationale à la fin de cette période, il a été libéré. L’autre
attentat que j’ai eu c’était avant 1992. J’ai été visé parce que j’étais
ministre de la Défense et que je pouvais m’opposer à leurs projets.
-16. Etes-vous resté actif dans la politique algérienne à partir de 1994 ?
Depuis, je défends mes idées dans la presse et dans les livres. Je
précise, par contre, que je ne suis pas membre d’un parti et que je n’ai
aucun lien avec le gouvernement ni les autorités politiques. J’ai
gardé très peu de contacts avec l’armée. Je préfère laisser les gens
agir, prendre leurs responsabilités. Moi j’ai déjà joué mon rôle.
-17. Pour quelle raison écrivez-vous en 1999, dans vos mémoires, que c’est vous qui avez nommé Zeroual ?
Je précise que j’ai nommé Zeroual comme ministre de la Défense. Comme
j’ai subi un attentat et qu’autour de moi il n’y avait personne pour me
remplacer et qu’il n’était pas question que je redevienne ministre,
j’ai préféré quitter et désigner un ministre de la Défense qui pouvait
remplir cette charge. En fait, Zeroual avait eu la même carrière que
moi. Je voulais que l’armée reste soudée, c’est pour cette raison que
j’ai choisi Zeroual. Je n’ai pas désigné Zeroual comme Président. J’ai
proposé son nom au HCE qui l’a avalisé.
Après relecture, je précise concernant les lignes 4-7 les éléments
suivants : ayant subi un attentat en ne voulant pas revenir au poste de
Ministre de la Défense, j’ai voulu désigner un remplaçant solide et
j’ai quitté ma fonction de ministre.
J’aimerais savoir pourquoi vous me poursuivez maintenant, je ne comprends pas ce réveil tardif.
Note : la procureure fédérale suppléante explique que sa présence en Suisse nous a été communiquée seulement hier.
L’audition est suspendue à13h10. L’audition est reprise à 14h.
-18. Quels moyens le HCE a-t-il mis en place entre 1992 et 1993 pour lutter contre le terrorisme islamiste ?
Les moyens visaient à répondre à leur violence. On a mis en œuvre tous
les moyens que l’on peut imaginer. L’Etat utilisait les mêmes moyens, il
ne pouvait que se défendre. C’étaient les moyens sécuritaires : les
services de sécurité agissaient dans les villes et l’armée dans les
campagnes. Il y avait un service de coordination pour l’ensemble des
services. La coordination était assurée par les représentants des
différents services. Ces représentants étaient des personnes qui avaient
des responsabilités importantes. Le service de coordination s’occupait
de collecter des renseignements à fournir aux différents services et à
l’armée. Le service de coordination était subordonné au chef du
gouvernement, toute la politique de sécurité était mise en œuvre par le
gouvernement, mais les décisions et la politique de sécurité générale
étaient décidés par le HCE.
Sur question, je précise que lors d’une opération concrète, le service
de coordination intervenait seulement s’il y avait différentes forces
qui intervenaient. Coordonner signifiait gérer les informations. Les
chefs d’opération, militaires, de la police ou de la gendarmerie
dirigeaient les opérations. Le service de coordination ne faisait que
leur donner des informations.
Sur question, lorsqu’il y avait plusieurs forces, le plus apte était
désigné comme étant le chef de l’opération. Ce n’était pas
systématiquement le chef d’un service plutôt qu’un autre.
Sur question, l’armée n’avait pas toujours le commandement suprême des opérations en présence de plusieurs forces.
Sur question, la lutte contre le terrorisme c’est de réduire le
terrorisme avec des moyens politiques et bien sûr avec les armes. Le HCE
a donné des orientations pour combattre le terrorisme, mais ensuite
c’était à chaque commandement et chaque service d’agir, comme il est
formé pour le faire.
Sur question, les orientations données aux forces de sécurité en
matière de lutte contre le terrorisme étaient de combattre le
terrorisme avec les moyens dont ils disposaient. Sur question, je
précise que le but était d’assainir la situation par tous les moyens,
militaires ou politiques. Je vous ai cité la «loi du pardon» dont le but
était d’essayer de ramener ces gens à la raison. On ne s’est donc pas
contentés de les combattre par les armes, mais on a essayé d’assécher
ce nid de terrorisme par tous les moyens.
Je vous cite un exemple, avant l’arrivée du Président, nous avons
réussi à faire descendre du maquis 6000 terroristes qui avaient donc
décidé de baisser les armes. Il ne leur restait plus que la couverture
politique.
Sur question, je réponds que la politique de lutte contre le terrorisme
était écrite noir sur blanc sur les ordres d’opération établis par les
commandements locaux. Les commandements locaux ont agi sur la base des
orientations générales du gouvernement et les ont traduites dans des
ordres d’opération. Les orientations générales du HCE n’étaient pas
écrites noir sur blanc, mais la position était claire. Si le HCE
existait, c’était concrètement pour combattre le terrorisme. (Suite demain)